Comment Rolex a conquis les profondeurs.
La valve à hélium originale, la clé des profondeurs.
— Henri Germain Delauze, fondateur de la Comex
Lorsque la mission Hydra VIII de la Comex (Compagnie Maritime d’Expertises) établit le record du monde de plongée en pleine mer à –534 mètres, en 1988, la montre de la mission est un Chronomètre Rolex Oyster Perpetual Sea-Dweller. Le modèle standard dans l’équipement du leader mondial de l’ingénierie sous-marine. Le seul en lequel ses plongeurs d’élite ont entièrement confiance pour les accompagner dans leurs descentes ultraprofondes en saturation, où le timing précis de chaque étape revêt une importance vitale. La montre avec laquelle ils ont mené à bien des milliers de missions sous-marines en conditions extrêmes. Cette montre de légende, instrument de la conquête des profondeurs grâce à sa valve à hélium brevetée par Rolex, est aujourd’hui rééditée dans une version actualisée bénéficiant des dernières innovations techniques de Rolex tout en conservant une esthétique iconique fidèle au modèle original.
LA MONTRE DES AQUANAUTES
Conçue en 1967, étanche jusqu’à 610 mètres puis jusqu’à 1220 mètres dès 1978, la Sea-Dweller est la montre des pionniers des profondeurs. Ceux qu’on appellera les aquanautes, explorateurs de l’hydrosphère, cet espace aquatique qui couvre quelque 70% de notre planète. Comme eux, la Sea-Dweller a dû s’adapter aux mélanges respiratoires artificiels conçus pour les grandes pressions, composés de gaz légers tels que l’hélium ou l’hydrogène. Comme eux, elle a dû se soumettre au long processus de décompression lors de la remontée à la surface afin d’éliminer ces gaz sans subir de dommages – le fameux et potentiellement fatal accident de décompression des plongeurs. A cet effet, la Sea-Dweller inaugure en 1967 une innovation importante développée et brevetée par Rolex : la valve à hélium. Cette ingénieuse soupape de sécurité, incorporée au boîtier de la montre, a joué un rôle essentiel dans l’essor de la plongée en grande profondeur, dont la Comex est certainement la plus illustre représentante. Son fondateur et président, le pionnier de la plongée profonde Henri Germain Delauze, déclarait au sujet de sa montre de prédilection : « Un plongeur à l’hydrogène ne peut pas vivre sans sa Rolex. » Et d’ajouter : « En plongée, le temps est une donnée vitale. Le timing des opérations, le changement des mélanges gazeux, la durée des paliers de décompression, l’entrée ou la sortie de la tourelle se font à quelques secondes près. Disposer d’une montre précise, robuste et fiable était d’une importance capitale. »
Pour comprendre l’importance de la Sea-Dweller, il faut remonter aux prémices de la conquête des profondeurs, au début des années 1960. A cette époque, la limite de la plongée sous-marine à l’air comprimé se situe aux environs de 60 mètres, principalement pour des raisons physiologiques. En effet, à partir de cette profondeur l’air devient toxique du fait de la pression. L’azote, qui constitue près de 80% de l’air naturel, induit un effet narcotique sévère, la fameuse « ivresse des profondeurs », qui fait perdre la tête aux plongeurs les plus avertis. Dès 66 mètres, c’est l’oxygène qui devient dangereux, une hyperoxie entraînant crise neurologique et perte de connaissance.
Et pas question de remonter rapidement à la surface, sous peine de subir un accident de décompression : quarante minutes passées à 60 mètres de profondeur nécessitent deux heures d’une lente remontée ponctuée de nombreux paliers de décompression à respecter scrupuleusement pour permettre aux gaz inertes accumulés dans l’organisme de s’évacuer – avec toute la problématique de disposer d’assez d’air pour rester aussi longtemps sous l’eau. Et ces temps de décompression augmentent de manière exponentielle avec la profondeur. Pour franchir le cap des 60 mètres, il fallait clairement trouver d’autres solutions.
Celles-ci se matérialisent au début des années 1960 par le biais de deux innovations : le développement de mélanges respiratoires alternatifs pour éviter les effets toxiques de l’air, et le concept de plongée en saturation pour minimiser les temps de décompression et les risques associés.
DE L’AIR SYNTHÉTIQUE
Si l’air naturel devient toxique sous l’effet de la pression, pourquoi ne pas respirer autre chose ? Cette question conduit au développement de mélanges respiratoires synthétiques qui ouvrent la voie vers les profondeurs des océans. L’air naturel est composé d’environ 80% d’azote et 20% d’oxygène, mais seul l’oxygène est métabolisé par l’organisme humain, et de ce fait vital. Or, c’est l’azote qui est responsable de la narcose des profondeurs à partir de 40 ou 60 mètres selon les individus. La recherche scientifique établit que la proportion d’azote dans l’air peut être remplacée par de l’hélium, et que ce mélange artificiel hélium-oxygène (héliox) est respirable par des humains sans problème physiologique et sans provoquer de narcose sous pression. Par ailleurs, la toxicité de l’oxygène peut être évitée en augmentant la proportion d’hélium dans le mélange. La barre physiologique des 60 mètres peut dès lors être franchie.
Puis d’autres limites par la suite – telles que le syndrome nerveux des hautes pressions, causé lors d’immersions prolongées à plus de 150 mètres sous héliox –, par l’utilisation de différents cocktails gazeux composés à degrés variables d’hydrogène, d’oxygène, d’hélium ou d’azote. La combinaison de mélanges gazeux spécifiques à certains stades de la plongée permet dès le début des années 1960 de repousser toujours plus loin les profondeurs atteintes et d’optimiser les temps de décompression. En 1961, une plongée en pleine eau est réalisée à –222 mètres dans le lac Majeur, en Suisse. L’année suivante, on atteint –313 mètres dans l’océan Pacifique, en Californie. Un record qui surprend alors toute la communauté des plongeurs de l’époque et préfigure de nouveaux horizons sous-marins.
VIVRE SOUS L’EAU : LES HABITANTS DE LA MER
La profondeur n’est pas l’unique aspiration de la conquête de l’univers sous-marin : l’idée de pouvoir rester de manière prolongée sous l’eau, voire d’habiter la mer, a également alimenté de longue date l’imaginaire humain. Les projets de maisons sous la mer lancés dans les années 1960 en France et aux Etats-Unis permettront de s’affranchir de la seconde contrainte de l’exploration sous-marine : la décompression. Incidemment, ces programmes font écho au nom de la montre de plongée ultrarésistante conçue par Rolex durant cette époque : la Sea-Dweller, littéralement « habitant des mers » en anglais.
Problème majeur de la plongée, la décompression limite de manière exponentielle le temps utile sous l’eau en fonction de la profondeur et de la durée. A titre d’exemple, pour une quinzaine de minutes passées à –90 mètres, un plongeur doit effectuer près de deux heures de décompression pour rejoindre la surface sain et sauf. Dix minutes à –300 mètres, et c’est théoriquement plus de vingt heures de décompression qui sont nécessaires. A peine quelques minutes ou quelques mètres supplémentaires augmentent encore cette durée de manière conséquente.
Le problème est là aussi physiologique et se nomme maladie de décompression, une condition qui peut entraîner la paralysie, voire la mort. Elle est due au fait qu’avec la pression sous-marine, le corps humain se transforme en « bouteille d’eau gazeuse » : les gaz sous pression se dissolvant dans l’eau, et le corps humain étant composé d’eau à près de 65%, une partie des gaz respirés se dilue dans le sang et les tissus. Une remontée sans décompression revient à secouer très fort la bouteille et l’ouvrir d’un coup : le gaz libéré forme des bulles de manière explosive. Dans les tissus humains, ces bulles peuvent entraîner de graves lésions. Pour éliminer le gaz sans risque, il faut ouvrir la bouteille très légèrement, lentement et en plusieurs fois. C’est le but des paliers de décompression, qui permettent au corps d’éliminer les gaz dissous de manière contrôlée.
PLONGER EN SATURATION
Au milieu des années 1950, une découverte cruciale contribue de manière décisive au développement de la plongée en profondeur et de longue durée. Des expériences démontrent que les tissus humains ont une capacité donnée d’absorption des gaz sous pression. Cela signifie qu’à partir d’un seuil de saturation du corps en gaz respiratoire, la durée de décompression demeure la même si un plongeur reste sous l’eau quelques heures ou plusieurs jours, des semaines, voire des mois. Seuls la profondeur et le type de gaz respiré s’avèrent déterminants pour la décompression. Cette découverte permet le développement de la « plongée en saturation », une technique qui consiste littéralement à saturer les plongeurs et les maintenir dans un environnement sous pression durant de longues durées, de sorte qu’ils peuvent effectuer de nombreuses plongées profondes en ne devant se soumettre qu’à un seul processus de décompression en toute fin de mission. Entre les plongées, ils résident dans un habitat sous-marin, sorte de maison de la mer posée sur le fond, dans lequel règne une pression de l’air égale à celle de l’eau à cette profondeur. Les plongeurs respirent un mélange gazeux synthétique à l’hélium, tant durant leurs sorties que dans l’habitat. En 1965, un aquanaute américain séjourne ainsi trente jours sous l’océan, vivant dans un habitat placé à –62 mètres de profondeur.
Durant leur séjour sous la mer, les aquanautes deviennent totalement acclimatés à la pression des profondeurs, étant saturés en gaz, de sorte qu’ils ne peuvent plus revenir à la pression atmosphérique de la surface sans passer par une longue phase de décompression dans un caisson hyperbare, pendant plusieurs dizaines d’heures. Ce processus, inhérent à l’identité des « habitants de la mer », a donné naissance à la fonction développée à l’époque par Rolex pour équiper son modèle de plongée ultrarésistant de nouvelle génération : une valve à hélium, grâce à laquelle la montre peut elle aussi décompresser sans dommage et laisser s’échapper l’hélium dont elle est saturée, à l’identique des plongeurs qui la portent.
La maîtrise de la pression
Avec l’Oyster Perpetual Submariner, étanche jusqu’à 100 mètres, Rolex crée l’archétype de la montre de plongée en 1953, aux débuts de l’exploration sous-marine par scaphandre autonome. Dès 1954, la Submariner double son étanchéité jusqu’à 200 mètres, offrant une confortable marge de sécurité pour les plongeurs à l’air s’aventurant rarement au-delà de la limite fatidique des 60 mètres. Par ses performances et sa fiabilité, cette montre s’impose au poignet de l’élite des plongeurs, une communauté avec laquelle Rolex entretient d’étroits contacts pour assurer l’amélioration continuelle de ses produits.
En 1962, l’exploit réalisé à –313 mètres en Californie rend évidente la nécessité d’une nouvelle génération de montres de plongée capables de résister à la pression des grandes profondeurs au-delà de 200 mètres. Rolex, qui avait envoyé avec succès en 1960 une montre expérimentale, attachée au bathyscaphe Trieste, jusqu’au plus profond des océans à près de –11 000 mètres, possède la technologie nécessaire pour renforcer la capacité de sa Submariner.
En 1966, la Comex effectue la première plongée industrielle à –160 mètres. La société française a développé une technique de plongée en saturation comparable à celle des programmes de maisons sous la mer, mais avec des habitats hyperbares embarqués sur des navires, permettant d’intervenir partout dans le monde. Les plongeurs en saturation sont transférés à la profondeur d’intervention sous l’eau par des tourelles, toujours sous pression, et retournent au sec et au chaud après leurs plongées dans l’habitat hyperbare sur le bateau support, jusqu’à leur décompression en fin de mission. La Comex, qui se profile alors comme le leader de la plongée commerciale profonde, vise les –300 mètres à la fin de la décennie. Rolex prévoit de doter sa prochaine montre de plongée d’une étanchéité jusqu’à 2000 pieds, soit 610 mètres. Mais en plus d’une résistance accrue à la pression extérieure de l’eau, permettant de descendre toujours plus profond, les retours d’expérience des plongeurs en saturation font apparaître un nouveau besoin insoupçonné : une résistance élevée de la montre à la pression intérieure.
LA VALVE À HÉLIUM, UN BREVET ROLEX
En effet, dans les habitats en surpression remplis de gaz respiratoires composés en grande partie d’hélium, les montres utilisées par les plongeurs finissent par se comporter comme eux : leur boîtier se sature en hélium, de sorte que la pression à l’intérieur de la montre s’équilibre avec celle dans l’habitat. Cela est dû à la nature extrêmement volatile de ce gaz léger, dont les molécules sont les plus petites au monde. L’hélium parvient ainsi petit à petit à s’infiltrer dans la montre par les joints d’étanchéité. Lors de la décompression des plongeurs, l’évacuation de l’hélium dans les tissus humains est plus rapide que la capacité du gaz léger à ressortir de la montre étanche, de sorte qu’une accumulation de pression importante se forme à l’intérieur du boîtier. Les plongeurs en décompression observent ainsi souvent que la glace de leur montre saute violemment, comme un bouchon de champagne, sous l’effet de la surpression. La montre doit elle aussi pouvoir décompresser de son trop-plein d’hélium.
Au lieu d’essayer de rendre sa montre étanche à ce gaz, une mission pratiquement impossible, Rolex développe une soupape unidirectionnelle sur le côté du boîtier. Celle-ci s’active automatiquement passé un certain seuil de surpression interne, afin de permettre au gaz de s’échapper du boîtier tout en maintenant l’étanchéité de la montre. Brevetée en 1967 par Rolex pour son nouveau modèle de plongée Professionnel Oyster Perpetual Sea-Dweller, cette valve à hélium se révèle indispensable à l’essor de la plongée profonde en saturation. La Comex fait rapidement de la Sea-Dweller la montre officielle de ses plongeurs, lesquels n’auront de cesse de repousser toujours plus loin les limites de la plongée humaine en grande profondeur. Au record en pleine mer établi en 1988 à –534 mètres s’ajoute celui réalisé en 1992 en caisson hyperbare à une profondeur expérimentale de –701 mètres, suivi de vingt-quatre jours de décompression. Un record resté inégalé à ce jour.
UNE NOUVELLE SEA-DWELLER 4000
En 2014, Rolex fait renaître cette légende de la plongée professionnelle avec une nouvelle version actualisée de l’Oyster Perpetual Sea-Dweller 4000. Ce modèle technique, étanche à 1220 mètres (4000 pieds) et d’un diamètre de 40 mm, est doté des derniers standards d’innovation de Rolex : disque de lunette Cerachrom en céramique inaltérable ; affichage Chromalight à luminescence longue durée ; spiral Parachrom bleu paramagnétique ; fermoir de sécurité Oysterlock ; et système de rallonge du bracelet Rolex Glidelock. Elle est bien évidemment équipée de la fonction qui a fait sa renommée : la valve à hélium.
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