Passion Horlogère multiplie les rencontres autour de la passion qui anime ses membres depuis plus de six mois déjà. Notre volonté affichée de « promotion du patrimoine horloger » se vérifie autant à travers l’évocation d’un passé prestigieux, qu’à travers une rencontre d’un horloger de talent au génie manifeste. La rencontre de Lionel LADOIRE, chez lui, à Genève, s’inscrit dans cette volonté de partage de la connaissance horlogère au sens large. Cet acteur reconnu par ses pairs comme étant un OVNI dans le paysage horloger traditionnel, s’inscrit dans ce mouvement des horlogers indépendants qui innovent techniquement et revisitent les codes esthétiques de nos garde-temps.
Thierry GASQUEZ
Rencontre :
-Lundi 5 juillet 2010, Genève –
Pierre-Yves et moi-même, en mission pour Passion Horlogère.
Objectif :
Rencontrer Lionel Ladoire, de la marque RP Ladoire.
C’est lui :
Mission :
Accomplie !
Voilà, c’était la version courte
…
Allez, on attaque les choses sérieuses, et il y a matière !
Arrivés à Genève vers 10.30, où nous sommes accueillis, et bien accueillis, par Lionel Ladoire.
C’est lui :
Il nous embarque dans sa voiture pour nous emmener au Grand Hôtel Kempinski.
(Pour la petite histoire, la voiture, c’est une Mini Cooper, version club, et je suis le plus petit des trois… Si, si, ça rentre !)
Nous allons passer plusieurs heures avec Lionel, avec le célèbre jet d’eau en panorama, dans un cadre sympathique (d’ailleurs, tout va l’être pendant cet entretien).
La marque est née en août 2007, avec deux personnes à l’origine, pour arriver à quatre actuellement. (Tous sur le pont le jour de notre visite, une présentation étant faite à des clients étrangers en parallèle)
Elle se positionne sur le marché des 25/45 ans, collectionneurs et esthètes principalement.
La dernière production annuelle était de 45 montres.
Les modèles sont/seront :
– RGT, (Roller Guardian Time),
Calibre Calvet 01, revendiqué de manufacture, tarif moyen 130 000 CHF.
Les affichages heures/minutes/secondes se font sans aiguille, par disques montés sur trois micro-roulements à billes céramique, sans lubrification.
Ces billes de céramique ont un diamètre de 3/10ème de mm, permettant un dimensionnement de 11 fois inférieur à une conception classique de roulement, d’où un gain de place appréciable, qui permettrait même de loger un tourbillon, si l’envie/besoin s’en faisait sentir…
Seule la fonction GMT, à correction rapide, se fait par aiguille.
Bloc d’échappement sans raquetterie façon Bréguet, base Patek.
Les dimensions en sont volumineuses, mais le galbe général permet un port aisé, la fluidité visuelle complétant la profondeur des différents niveaux de la montre, difficile à rendre en photo. Aucune gêne malgré une masse bien perceptible.
– RSGT, prévue en trois séries de dix exemplaires chacune, en blanc/noir/gris, tarifs d’environ 80 000 CHF, système mono corne de fixation du bracelet, carrure/fond plein monobloc.
De dimensions réduites, (-6mm en largeur, -4 mm en hauteur, -3mm en épaisseur), l’affichage heures/secondes se fera par disques.
Evoquée comme « non souhaitée », mais quasi-imposée par le marché, cette version, d’entrée de gamme, n’est pas une version appauvrie, mais est développée et réalisée avec autant de perfectionnisme, sur une autre base technique, sans dévalorisation de son porteur donc, mais permettant un accès tarifaire élargi.
(Vue en images CDAO, la diffusion presse devant se faire un peu plus tard.)
– LSGT, tarifs d’environ 80 000 CHF.
– LGT, tarifs d’environ 180 000 CHF.
Système d’affichage des minutes par pistons linéaires à course de +/- 30mn, et guillotine, Affichage des heures se faisant sur palette s’inclinant à 180°, permettant ainsi un gain de place, les tambours nécessitant 11 mm au lieu de 27.
Double indicateur de RDM, mini-rotor, couronne sous la montre activable par sélecteur trois positions.
Principale particularité : Bloc échappement silicium…De quoi laisser rêveur…
Prévu initialement à 18 000 alternances, avec objectif à 21 000.
Le différentiel n’est pas repris mais recalculé.
L’accès à cette technologie est revendiqué par Lionel comme s’appuyant sur la compétence démontrée de la marque. Un gain d’énergie de 30 % est annoncé, permettant de porter la réserve de marche à 80 heures.
(Vue en images CDAO, la diffusion presse devant se faire un peu plus tard.)
-La « Ronde », grande date, dont l’affichage et les ponts sont prêts, tarif : 35/40 000 CHF.
Les versions « Customs » peuvent atteindre 300 000 CHF, Lionel insistant d’ailleurs sur son mode « No limits » en matière de personnalisation, lui-même effectuant toutes les décorations, les rodiages et traitements PVD étant sous-traités.
Il n’y a qu’un seul distributeur, Yafriro en Asie, et des agents.
Une partie des montres a été vendue en direct, mais en respectant les tarifs réseaux.
La communication s’est d’abord faite par une agence externe, avant une embauche pour un fonctionnement interne.
Le souhait à terme est de disposer de deux bases, automatique et manuelle, permettant de tout « brancher ».
Bâle 2011 et fin 2011 seront des échéances de sortie de modèles pour Ladoire.
Ces informations « brutes » sont nécessaires, mais ne constituent pas le seul attrait de cette rencontre, même s’il m’est personnellement intéressant d’accéder à ce qui me reste, comme à nombre d’entre nous, financièrement difficilement accessible.
Car Lionel est le type de passionné qu’on retrouve dans les rencontres Passion Horlogère.
La Passion !
Voilà ce qui caractérise vraiment le personnage.
Quatrième génération de joailliers, dont trois en micromécanique, il est entré dans cette activité à l’âge de 14 ans, à l’issue d’un parcours scolaire dans lequel il ne se sentait pas à l’aise.
Il enchaînera donc deux ans de préapprentissage à Lyon (dans l’équivalent de l’école Boule), et cinq années en alternance, à raison de trois semaines en entreprise et une en école, la plus grande partie s’effectuant en famille.
Il sera formé par un maître joaillier âgé de 75 ans, qui décédera en atelier.
Sa formation en Design lui permet de valider sa conception de l’objet montre qui doit avoir une identité visuelle immédiatement reconnaissable, à distance, dans un environnement horloger où 90 % des montres sont rondes. (Ce sera l’un des prochains challenges, réussir à développer « son » modèle d’une montre ronde, au dessin plus « traditionnel », mais dans une identité spécifique.) Ses références en la matière sont Urwerk, Mille, HD3, etc.
S’appuyant sur ses propres intérêts :
– La mécanique, (sa mobylette a subi quelques interventions…),
– La joaillerie (qui reste son point d’attache et son éventuel refuge si l’aventure horlogère devait s’achever),
Il revendique le détournement du patrimoine horloger qu’il connaît parfaitement de par son immersion familiale permanente, en y adjoignant des principes basiques de l’industrie.
Ce patrimoine familial, parfaitement connu et reconnu et qui lui constitue un socle auprès de « l’establishment », n’est pas renié, mais utilisé pour être en accord avec les souhaits de clients finaux, différents, et innovateurs.
Au-delà du Swiss made traditionnel, il introduit la notion de « Helvet product », et son catalogue, qui nous a été offert à l’issue de notre entretien, fait apparaître les différents lieux de Suisse où sont réalisés les composants des montres.
Genève, Bassecourt, Porrentruy, Courtedoux, Schaffhouse, Chez le Bart, Biel, Bienne, La Neuville, sont les lieux de production des composants, 575 à l’origine, répartis chez 27 fournisseurs initialement.
Lionel s’est donné pour challenge d’allier le design (le « paraître »), en poussant les aspects novateurs et de finition, avec la mécanique et le mouvement (« l’Être »).
Il travaille par jets d’idées, ensuite réalisées par travail en cire, selon les principes utilisés dans l’industrie automobile et la joaillerie, avec une réflexion permanente, en quête d’améliorations.
(Une platine de RGT et la « ronde » sont d’ailleurs ouvertes depuis six mois sur son établi.)
Outre les montres, il y a en cours un projet de Joint-manufacture, pour la fourniture à d’autres marques de mouvements fiables, identitaires, avec rouages en propre, issus d’un développement commun, permettant un choix de serges, ponts, etc., la cible étant : Tout !
Ladoire pourrait être d’ailleurs client de ce fournisseur.
Jeune société, Ladoire assume son statut, et Lionel tire parti de ses connaissances mécaniques pour créer son identité horlogère, métier qu’il a dû réapprendre à 36 ans, cette remise en question permanente étant aussi une caractéristique de la marque.
Sans difficulté, il mentionne les deux décolleteurs, les deux fabricants d’ébauches et le fabricant de boîtes qui travaillent pour/avec la marque Ladoire.
Lionel affiche une recherche de pertinence industrielle, avec une sous-traitance assumée, une intégration de compétence, travaillant avec un développement externe, et revendique une culture du résultat, impliquant intransigeance et remise en question.
Admirateur de Journe et Richard Mille pour les brèches qu’ils ont su créer dans les traditions horlogères, en « bousculant » les maîtres et les traditions, en utilisant leurs réseaux et compétences, il fait état de sa propre démarche, contactant au culot plusieurs personnalités du monde horloger, concepteurs de mouvements, etc. et revendique une reconnaissance acquise par la compétence démontrée, tant auprès de clients étrangers, (dont le plus gros « retailer » de Tokyo lors de la première exposition à Bâle), que des partenaires financiers ou industriels.
Un audit fut aussi mené par plusieurs membres de la profession, dont Patrick Kremers, afin d’examiner la pérennité, le potentiel, l’aspect culturel général, etc.
La relation avec ces derniers s’est d’ailleurs faite en privilégiant les liens et les relationnels développés au cours des quatre générations écoulées, auprès des fondeurs, diamantaires, etc., toujours dans le souci d’améliorations techniques et de perfectionnisme.
Leur décolleteur/habilleur, travaillant aussi pour Patek et Moser, est ainsi passé de 15 à 30 machines, au sein d’une usine de 2 500 m2.
Lionel considère d’ailleurs plus ces partenaires comme des « potes », alliés dans la même dynamique.
Bien évidemment, tout n’a pas été rose…
Les 15 premières pièces vendues sont revenues en SAV, suite à des problèmes de correction GMT, de départ de grandes aiguilles, trop grandes et glissant dans leurs canons.
Des « remaniements » dans la conception, conduisant, entre autres mesures, au remplacement de personnes au développement par Phillipe Ruedin « THE Constructeur !!!! », ont permis de résoudre ces difficultés, et de démontrer une capacité d’adaptation et de réactivité, consolidant la démonstration de compétence sur le long terme.
Le recours à des personnes compétentes, comme un ingénieur formé par le père du micro-rotor Universal, débouchant sur des micro-dentures retravaillées et recalculées, à l’assemblage de rouages par sept horlogers de Genève permettant des tolérances d’entraxes de 4 microns, contribuent à l’image acquise.
Des évolutions du calibre maison, les Calvet II et III, sont en cours, l’objectif du SAV est de tenir un délai d’un mois en résolution, fusse au prix de remplacement de rouages si la détection de la panne, parfois délicate, est trop longue…
L’approvisionnement en approche industrielle multi-source, permettant plus de sérénité…
Il est difficile de relater tous les éléments techniques des modèles évoqués, ainsi que les données contextuelles de l’horlogerie traditionnelle face à l’arrivée d’une nouvelle marque, ayant une approche plus moderne, beaucoup d’anecdotes furent évoquées.
Mais tous les éléments convergent pour dessiner un portrait de passionné, ayant une approche pragmatique et industrielle, (dans ses caractéristiques de précision et d’efficacité réactive), décidé à tenter l’expérience de l’horlogerie moderne, avec une maîtrise de la tradition et une assise de légitimité issue d’une tradition familiale longue et reconnue.
Mais sans prise de tête, avec une volonté de réussite, une capacité d’analyse et de remise en question permanente, « l’incontournable n’existant pas », selon Lionel.
Et prêt à retourner dans le domaine de la joaillerie, si besoin…
Il faudrait aussi évoquer l’amateur de musique, batteur, disposant d’un studio de musique, commençant à manquer de temps…
L’amateur de couteau, travaillant sur un projet de création avec un chaudronnier d’art…
L’amateur de moto, réfléchissant à du custom intégral, avec des éventualités de co-branding auto et moto…
L’initiateur de salon horloger, démarrant de trois participants, pour passer à 10, puis 30, pour arriver à 70…
Nous recevant en T-shirt et casquette, revendiquant des affinités rock underground, créateur de customs RGT en trois exemplaires, dénommés « Punk Rock », en livrée mouvement blanc, lisérés noirs, PVD black, sur platines entièrement squelettisées, d’inspiration Hot-rod américain, à 156 000 CHF. pièce, dont deux vendues en direct, vous aurez perçu, un peu, le personnage…
« Oser et se lancer, envie de s’éclater. »
L’entretien s’est déroulé de 10.50 jusqu’à 15.00, avec ensuite une visite de l’atelier, sachant que nous devions repartir par le train de 16.15…
La dernière partie fut trop rapide, mais moins que notre trajet retour vers la gare, à l’image du personnage !
Malgré les travaux dans Genève, et les détours induits, nous étions à l’heure…
Pas le temps de tenir les murs, il faut que ça avance, et vite !
Vous trouverez ci-dessous les photos prises par Pierre-Yves, ainsi que celles faites lors du Salon Belles Montres à Paris, en 2009.
Elles vous permettront d’avoir un aperçu des montres, que vous compléterez par une visite du site de la marque.
Vous pourrez ainsi voir les bracelets et bouclerie, dont les deux ardillons de tailles différentes permettent les ajustements de taille…
Quand je vous dis qu’il y avait de quoi faire…
Voici qui termine ce mélange d’infos horlogères et de portrait de Passionné.
Tout ne pouvait être relaté in extenso, par manque de temps et de place, et aussi par manque de connaissances personnelles techniques, mais j’espère que nous vous aurons donné envie de découvrir la marque, ses modèles, ainsi que Lionel et son équipe, lors des prochains salons.
Merci à tous ceux qui auront permis cette rencontre, Passion Horlogère, son Président, Pierre-Yves, Richard Piras et bien sûr Lionel Ladoire pour son accueil, sa cordialité, sa disponibilité et sa patience.
Photos Genève Ladoire par Pierre-Yves :
Photos FokkerIII :
Salon Belles Montres 2009, photos by FIII :
Récit : Thierry D. Photos : Thierry D, et Pierre-Yves M.
Passion Horlogère, juillet 2010.
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