Contrairement au vin, à l’automobile et autres « marchandises » qui voguent allègrement entre les eaux de la nécessité et du luxe, une montre est TOUJOURS un produit à 100$. Honnêtement, dans tous les magazines, on voit plus de montres à 100 ou 200 dollars que de modèles à 20 000 dollars. Beaucoup plus. J’irai même jusqu’à évoquer un ratio de 1 milliard pour un ! Peut-être même cent fois plus ! Cependant, si nous abordons les choses différemment, cette fois-ci sous la perspective de l’automobile ancienne, des grands vins ou même – Le Graal – de l’art, et de tout ce qu’on peut regrouper sous le terme d’antiquités, alors ces “autres” objets sortent beaucoup plus de la médiocrité et de la camelote que les montres, jusqu’à 1 million de fois plus ! Aujourd’hui, je n’hésiterai pas à dire que la De Bethune DB28 est la montre la plus belle et la plus sous-évaluée du monde. Je suis prêt à risquer ma réputation pour cette assertion. Je l’ai achetée. Et je vais en acheter une seconde. Il y a TRES peu de montres à moins de 100 000$ qui peuvent prétendre au statut d’objet d’art, ou d’investissement… Cette montre y accède haut la main.
Cela me met bien sûr dans une position inconfortable, et ce pour de nombreuses raisons, presque toutes légitimes… Permettez-moi d’en partager quelques-unes avec vous :
Ne prenez pas tout cela trop sérieusement, riez, amusez-vous… Je pourrais me tromper sur toute la ligne !
Leçon #1 : « Les SEULS qui perdent de l’argent sont ceux qui cherchent la bonne affaire ». Il n’existe pas de bonne affaire, ni de prix spéciaux, dès lors que l’on parle de montres sur lesquelles on peut investir !
Leçon #2 : « Les Américains ne comprennent rien au design, ils le confondent avec le style, ou n’importe quoi qui soit rare et cher. Les Européens savent que le design est l’art, et suivre les tendances est ce qui différencie les courageux des lâches ».
Pourtant, les Américains ont beaucoup d’influence. Internet décidera quelle industrie deviendra un investissement digne d’embellir la vie, et laquelle permettra de gagner plus d’argent, et nous verrons laquelle se terminera en premier ! J’ai la sensation que les USA vont peser sur le pouvoir de persuasion d’Internet. C’est néfaste pour la valeur des montres, au moins pour les 10 prochaines années. Les Américains considèrent qu’une montre en métal noble – ou même en acier -, fabriquée à la main par une race d’artisans en voie de disparition, est moins collectionnable qu’une voiture qui rouillera inexorablement, et qui ne peut même plus fonctionner avec les carburants actuels. Ils vont jusqu’à penser que la peinture, la sculpture, le vin, sont de meilleurs investissements, bien que nombre de ces objets soient connus en Orient comme des faux ou des impostures.
Pourquoi cet état de fait ? Parce que les États-Unis sont un grand pays, et que la terre y est peu chère. J’y ai vu des collections d’objets intéressants, mais à la valeur discutable, dans des bâtiments ressemblant à d’immenses entrepôts. Là-bas, pas de problème si l’on veut collectionner 100 voitures, 2 000 sculptures et des bouteilles de Cola. On a la place. Finalement, c’est presque toujours plus amusant d’avoir une collection de grande taille… Jusqu’au moment où vous devrez envisager un déménagement !
Leçon #3 : « Il y a 10 ans, en Chine et dans le reste de l’Asie, tout le monde voulait connaître la marque que l’on achetait. Aujourd’hui, de plus en plus de Chinois veulent savoir ce que l’on achète, et pourquoi, avant de poser des questions sur la marque ».
Ces trois leçons font que les Chinois, parfaitement acculturés à l’art, et qui se trouvent être quelques centaines de millions, qui ont souffert d’une génération de pauvreté, qui ont créé la notion du mot culture, et qui ont inventé les premières bonnes horloges du monde, ont appris que seul l’argent avait voix au chapitre… Mais plus important, ont montré que malgré que le sexe et l’argent font tourner le monde, ils savent créer la femme parfaite ! Cependant, l’influence de l’occident jette encore une ombre d’hésitation à Taiwan, à Hong Kong et en Corée. Mais ce n’est plus le cas en Chine et au Japon, peut-être moins enclins à être des suiveurs.
En regardant à quel point le business horloger est désastreux aux USA et à Hong-Kong, mon opinion est que le milieu et le haut de gamme passent un mauvais quart d’heure… Les montres qui coûtent moins de 100 000$, et qui ne se mesurent pas à l’aune d’objets d’art, sont battues en brèche par ce nouveau standard qu’est le m’as-tu-vu.
A l’autre bout de la chaîne, dans le domaine de l’art, de simples principes de respect de l’histoire tiennent bon. Les voici :
(1) Ne collectionnez que ce qui sera historique.
Si vous pensez que les grandes marques font du travail qui vaudra plus cher demain, alors OUI, elles se vendront mieux. Elles représentent la tendance actuelle. Elles commercialisent ce qui est aujourd’hui considéré comme une montre/investissement. Mais si vous les observez sur une période de 30, ou 100 ans, vous verrez vite qu’elles ne font rien d’autre que cloner leur propre travail, de 1950 à 1990.
C’est la très grande différence entre les grandes marques, fabriquant des milliers de répliques – oui, ce ne sont rien d’autre que des répliques de leur propre travail -, et les artistes qui fabriquent ce qui sera demain l’histoire, pour des milliers d’années.
Il n’y a rien de mal à acheter une montre auprès de ces marques. Elle sera simplement plus facile à revendre, mais n’a pratiquement aucune chance d’avoir une légitimité historique. Les marques agissent pour faire de l’argent, pas pour écrire l’histoire.
(2) Agissez comme un mécène, pas comme un collectionneur. En tant qu’investissements, je ne fais pas de différence entre une sculpture, un meuble ou une montre. Je n’achète pas mes meubles du quotidien pour investir, mais j’ai en parallèle des fauteuils qui m’apporteront du profit.
Je ne peux pas me permettre de collectionner sur des horizons trop larges, ni trop en profondeur, mais j’essaie de toujours viser à l’excellence chez chaque fabricant. Si vous avez suffisamment d’argent, je vous recommanderais plutôt de collectionner en profondeur.
(3) J’ai eu la chance d’acheter des artistes inconnus, avant et pendant la crise financière. Durant cette période, personne n’avait un regard pour eux. Aujourd’hui, tout le monde s’essaie à vendre des noms inconnus. Un inconnu est obligatoirement un créateur brillant, un ingénieur industriel et architectural. Il doit montrer qu’il est capable de pousser les matériaux précieux au bout de leurs limites, en les tordant, les soudant, les polissant.
Existe-t-il un risque que certaines marques, célèbres mais de très petite taille, disparaissent de l’horizon des collectionneurs durant les 100 prochaines années ? Non ! Elles représentent une rupture dans l’histoire. Elles seront progressivement digérées, et deviendront une partie du design du futur. Et au siècle prochain, toutes les montres leur ressembleront. Et les hommes seront à la recherche des modèles initiateurs de la tendance, les petits fabricants d’aujourd’hui.
(4) Je ne suis PAS un investisseur quand j’achète, mais je le suis quand je vends. Jusqu’à présent, je ne me suis jamais trompé !
(5) Acheter de l’art deviendra beaucoup plus difficile et moins profitable. On ne peut pas le transporter, la mise en lumière est très importante, tout autant que le lieu qui permettra de l’admirer. Alors qu’il est si facile de les voir sur ces nouveaux écrans 3D de 42 pouces de couleurs pures !!! Je peux ranger toute une collection sur un disque dur, encadrer un écran plasma, l’accrocher à mon mur… Et je peux même en ajuster la luminosité ! Quelle sera alors la valeur de l’œuvre ?
Une montre est une médaille, célébrant le succès ou la réussite. Les gens l’admettraient plus facilement s’ils faisaient montre d’un peu d’honnêteté.
Pour l’immense majorité d’entre nous, qui ne chasse plus, qui ne fait plus la guerre, c’est notre petit bout d’existence, geeky mais pratique, c’est un moyen de préserver notre ingénuité.
Maintenant, rentrez chez vous, retirez de l’argent… Et allez voir votre revendeur pour acheter une De Bethune 28. Et ne le dites pas à votre femme !!!!
Texte et images : Dr Bernard Cheong
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