François-Henry Bennahmias est un homme de grandes ambitions. Depuis sa plus tendre enfance il veut être N°1 ! Et pour atteindre ses objectifs, il se donne les moyens. Travailleur acharné, exigeant, se reconnaissant parfois dur mais sachant être humain avec ceux qui l’accompagnent, le CEO d’Audemars Piguet au franc-parler légendaire peut être fier de ses résultats. Arrivé courant 2012 à la tête de la marque, il en a depuis doublé le chiffre d’affaire en flirtant avec le milliard de CHF. Gelant en 2015 la production à 40 000 unités par an, il s’est attaché à travailler la qualité des produits et son réseau de distribution. Aujourd’hui toute la profession reconnaît sa belle réussite, mais lui ne compte pas s’arrêter là. Toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus vite, celui qui a pour inspiration Yoda, le chevalier Jedi petit, moche, et paraissant faible, veut incarner cette force qui résulte de la seule volonté. Faites connaissance avec cet homme dont l’humour n’a d’égal que sa décontraction face à la caméra.
Bonjour François-Henry Bennahmias, comment se porte Audemars Piguet depuis que vous êtes à la tête de la marque ?
Et bien, on va dire plutôt bien puisqu’on vient de finir une très belle année 2017. En fait on vient de finir la sixième année où l’année en cours est meilleure que l’année précédente. Ceci six années de suite. Quand j’ai pris les rênes de la société elle faisait un petit peu plus de 500 millions, et on a presque touché le milliard en 2017. Donc c’est plutôt bien je crois. Tout ceci avec une volumétrie qui est restée quand même très très sage, puisqu’on n’a pas fait augmenter les volumes. Depuis 2015 on a atteint 40 000 montres et on n’en fait pas une de plus. On n’en fera pas encore une de plus, ni en 2018 ni en 2019.
Donc en termes de stratégie, vous vous inscrivez sur le long terme avec une marque comme Audemars Piguet ?
On est obligé. Quand vous avez les familles fondatrices qui sont encore en charge de la société et que c’est la quatrième génération, j’ai envie de vous dire : « bien sûr qu’on doit garder et avoir cet esprit de continuité ! ». Nous sommes une maison indépendante. On a cette volonté de le rester bien évidemment et d’être le plus fort possible pour qu’en fait il n’y ait jamais de questions qui se posent. Dans ce sens-là, il y a beaucoup de nouveaux business modèles qui sont en train de se créer. Nous, nous allons essayer de devenir encore plus pour qu’on soit encore là dans 250 ans.
Monsieur Bennahmias, on va parler un petit peu de vous. Déjà, pouvez-vous me dire ce que vous portez au poignet ?
Alors, je vous le dis, je porte le succès de l’année 2017 ! C’est le QP céramique Royal Oak, qui est une montre qui me tient particulièrement à cœur parce que j’ai mis longtemps entre le moment où je l’ai demandée et celui où je l’ai eue au poignet. Donc voilà elle est là aujourd’hui ! Un an après je ne peux pas m’en défaire, je l’adore et j’ai plein de compliments à son sujet. Voilà !
C’est un petit peu votre montre fétiche ?
Encore quelques temps, je pense que oui.
Est ce que vous êtes collectionneur ?
De manière générale ?
De manière générale, d’horlogerie…
Oui, bien sûr.
Vous êtes quelqu’un aussi de passionné ?
Et bien si jamais je n’étais pas passionné, il faudrait que je change de métier. Je ne serais pas du tout dans la bonne maison.
Quelles sont vos autres passions que l’horlogerie ?
Musique… Spectacles… de manière générale… Ça ne se collectionne pas, sauf le nombre de fois où on va voir des spectacles. L’Art bien sûr, ça c’est une chose qui me tient particulièrement à cœur. Le vin que j’aime bien. J’ai une cave qui est bien remplie, et puis j’aime bien ça (sourire). Là vous aviez Emmanuel Renaut qui est un chez trois étoiles de Megève et qui est un grand copain. Il m’a éduqué récemment à la Chartreuse qui est un alcool qu’on ne voit pas facilement se balader à droite et à gauche. On arrive à mettre la main parfois sur quelques lots. Et il vient de me le dire, devant vous, on va essayer de mettre la main sur quelques vieilles bouteilles. C’est toujours sympathique. Mais je ne suis pas un alcoolique ! (Rires).
Est-ce qu’on peut vous définir comme étant un épicurien ?
Ha oui, alors ça sans problème.
Est-ce que vous avez une appétence particulière pour le luxe ?
Oui, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais pas le luxe que pour moi d’ailleurs, entre parenthèses. J’ai une chère et tendre partenaire de choc… J’ai une passion pour les chaussures de femmes, donc elle est très heureuse parce que je passe ma vie à lui en acheter, pour elle.
Quelle est votre définition personnelle du luxe ?
L’exclusivité ! Le vrai luxe c’est l’exclusivité, c’est la rareté, c’est le fait que ce ne soit pas partout, à n’importe quel moment… Aujourd’hui le mot luxe est un petit peu galvaudé parce qu’en fait tout le monde l’utilise. Et ça devient un peu n’importe quoi. Le vrai vrai luxe, c’est l’artisanat, la rareté, l’exclusivité… Ça c’est ma vraie définition !
Est-ce qu’il y a une maison, autre qu’Audemars Piguet, maison d’horlogerie ou dans un autre domaine qui incarnerait cette définition du luxe ?
Alors il y deux très grandes maisons de luxe que je respecte beaucoup, c’est Hermes et Chanel. Ce sont mes deux vrais exemples.
Monsieur Bennahmias, je me suis renseigné un petit peu sur vous… (Coupé)
Aïe….
Il semblerait que vous ayez eu une première vie. Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
Ma première vie de golfeur professionnel ?
Exactement !
Ma première vie, c’est que je voulais être n°1 mondial, voilà ! Je voulais être le meilleur joueur de golf sur la planète. A l’époque mes héros étaient Severiano Ballesteros, Tom Watson, et ce genre de personnes. J’ai dit un jour : « Je veux être ça ! ». Et puis j’ai raté lamentablement, puisque au « mieux du mieux du mieux » j’ai atteint la 25 ème place française. A l’époque on perdait de l’argent… On n’en gagnait pas ! Et puis un de mes très bons amis m’a dit : « tu ne seras jamais numéro 1 mondial, viens bosser avec moi ». Il m’a enlevé du golf pour m’amener dans la mode. J’ai fait 7 ans dans le monde de la mode avant de commencer à travailler pour Audemars Piguet. Il y a maintenant 23 ans !
23 ans déjà ! Vous ne faites pas votre âge, sachez-le.
J’ai 67 ans, il faut quand même le savoir… (Rires) de carrière !
(Rires) C’est peut-être aussi parce que vous êtes un homme pressé et que chaque année pour vous équivaudrait à…
Une demi année, Oui voilà ! (rires)
Est-ce que justement dans ce parcours vous avez l’impression, ou on vous donne l’impression, d’être un petit peu un OVNI ? Vous n’avez pas réussi cette carrière de golfeur professionnel mais aujourd’hui on peut vraiment dire que vous avez réussi en horlogerie.
Alors on va dire que ce n’est pas mal, oui bien sûr. Mais ça c’est mon esprit compétiteur. En fait, ni Audemars Piguet, ni la mode n’étaient des choix. Ce sont en fait des croisements d’expériences et de gens dans la vie qui font qu’on bouge. Jamais je n’aurais pensé qu’un jour je travaillerai pour une maison d’horlogerie. Quand on a commencé à me parler de montres, la première réponse que j’ai donnée c’est : « Mais je ne connais rien aux montres ! ». Puis la personne m’a dit à l’époque : « Ne t’inquiète pas, toi tu vas pouvoir te débrouiller ! ». Donc effectivement, il y a ce côté d’avoir découvert quelque chose que je ne connaissais absolument pas mais d’un autre côté, dans mon ADN, il y a cette volonté de toujours gagner, de faire mieux, de faire plus fort. Donc là effectivement, j’ai trouvé un peu un terrain de jeu sympathique.
Est-ce qu’il y a un personnage contemporain ou historique qui vous a inspiré à un moment donné dans votre vie ?
Alors, dans les vrais personnages, oui j’en ai un qui me revient régulièrement, c’est Mohamed Ali. Il n’est plus de ce monde, malheureusement. J’ai eu l’occasion de travailler 3 ou 4 fois avec lui. C’était un personnage extraordinaire. Et dans les non existants et non contemporains, c’est Yoda !
(Rires)
Mais pour une raison simple, attention ! Pourquoi ? Parce que les gens disent, bon il y a Yoda, il aime Star Wars… Ce n’est pas Star Wars ! C’est Yoda !! Et il faut savoir que même pour Star Wars, je me suis arrêté à l’épisode IV, V, VI… Après les 3 premiers qui ne sont en fait pas les 3 premiers, j’ai arrêté de regarder Star Wars. Donc pour moi c’est Yoda, et pour une raison simple : Il est très très vieux puisqu’il a quasiment 900 ans, il n’est pas super beau, mais ça le rend super beau quand même, il dégage zéro puissance intellectuelle et physique, alors que c’est la force ultime. Et ça j’aime beaucoup ! Ça c’est un truc qui me parle et j’aime bien. Il a dit une phrase, qui est d’ailleurs sur une plaque sur mon bureau, à l’entrée, sur la porte. Comme ça même avant de rentrer vous savez… Il y a de marqué : « Do or do not, there is no try ». Et je fais partie des gens qui pensent que dans la vie, on fait ou on ne fait pas. Essayer c’est déjà prendre le risque de rater. Donc on va rater, mais ça ce n’est pas grave. Le but c’est de ne pas rater 20 fois sur les mêmes choses… mais ensuite c’est de faire. On y va, on avance !
Au sein d’Audemars Piguet, vous avez combien de collaborateurs ?
Aujourd’hui, il y a 1 600 collaborateurs chez Audemars Piguet. Il y en a 1 000 en Suisse et 600 dans le reste du monde.
Quelles sont les qualités que vous recherchez auprès de vos collaborateurs ?
La capacité à penser toujours de vouloir faire les choses ensemble. Donc aujourd’hui, à chaque fois qu’il y a de nouveaux collaborateurs qui rentrent, les managers le savent, – car ce n’est pas moi qui engage toutes les personnes, bien évidemment, vue la taille du groupe – je demande expressément que tous les gens qui rentrent dans la société aient cette touche humaine qui est primordiale. On veut avoir des très bons talents, évidemment, mais je vais privilégier l’humain au moins autant que talent. C’est-à-dire que vous me donnez quelqu’un qui a un super talent mais qui n’est rien d’humain, il ne peut pas rentrer chez nous, ça ne m’intéresse pas et c’est mauvais. Quand je suis arrivé à la tête d’Audemars Piguet, en 2012, en portant le même maillot Audemars Piguet, j’avais une équipe orange, une bleue, une jaune, une verte, une noire. Ce n’était pas jouable ! Les gens avaient des attitudes de groupes à groupes qui étaient incroyables. J’ai dit ça il faut absolument qu’on le casse ! Parce qu’à l’arrivée le maillot c’est Audemars Piguet. Imaginez une équipe de foot dans laquelle l’arrière ne passerait pas la balle au milieu ou à l’avant-centre parce qu’il ne l’aime pas ? Il ne voudrait pas parce que ça ne l’intéresse pas. C’est injouable ! Donc il faut que tout le monde joue ensemble parfaitement. Et pour ça il faut des qualités humaines très très importantes.
Justement, dans une maison qui compte 1 600 collaborateurs, est-il possible d’inculquer cet esprit start up ?
Complètement. Ce n’est pas une question de nombre, c’est véritablement une question de travail de tous les jours. Mais quand je dis tous les jours, c’est tous les jours !!
Tous les jours, travailler sur cette culture du « On bosse ensemble, ensemble, ensemble, oui ! ».
Donc on peut dire aujourd’hui que vous êtes capitaine d’une équipe ?
Je suis capitaine d’une équipe, absolument ! A un moment, ils m’avaient même fait un truc, ils m’avaient mis une blouse d’horloger sur laquelle il y avait marqué : « Coach ». Il n’y avait pas marqué : « Directeur ». Puisqu’on s’en fout de ça, ça ne compte pas. Mais coach, ça me plaisait bien.
Question essentielle et qui sera la dernière, Monsieur Bennahmias, à l’heure Audemars Piguet, quelle heure est-il s’il vous plait ?
A l’heure Audemars Piguet, il n’y a pas de minutes, déjà pour commencer ! A l’heure Audemars Piguet, il est… (Quelques secondes de réflexion)… Il est 11h59 !
Merci Beaucoup.
Au revoir.
Note de la Rédaction : Après cette dernière réponse de la part de Monsieur Bennahmias, « 11h59 », il y a eu pas mal de rires et d’animation dans le bureau. Monsieur Bennahmias venait de faire référence à quelque chose de très confidentiel et sans doute en cours de réalisation au sein de la Manufacture Audemars Piguet. Nous avons convenu ensemble de sensibiliser les lecteurs de Passion Horlogère pour émettre des hypothèses, de manière à tester la perspicacité et/ou l’imagination de nos lecteurs. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires. Ils seront soumis à Monsieur Bennahmias. Et si l’un d’entre vous trouve de quoi il s’agit, Passion Horlogère lui offrira un joli cadeau !
Quelques secondes après vous avez eu la chance!, d’entendre sonner la Royal Oak Concept Supersonnerie ?
Bonjour.
Le code 11.59 est un nouveau brevet déposé par AP.
Cordialement