Pépé me prêtait souvent sa montre gousset pendant les repas de famille dominicaux interminables de mon enfance. La contempler me procurait un moment d’évasion, l’assurance d’un voyage loin de ce brouhaha familial.

Souvenirs d’enfance
En l’observant, je ressentais réconfort et apaisement, comme lorsqu’on fixe un feu de cheminée crépitant et que l’on ne pense plus à rien. Quel était donc ce tic-tac perpétuel émanant d’un si petit boîtier ? Quelle était cette danse si fluide de la trotteuse ? Et ces aiguilles à l’allure d’un manège incessant, comment tournaient-elles ?

Ce petit bijou me semblait si vivant. Il regorgeait de mystères et aiguisait à chaque fois ma curiosité. Je me souviens surtout de ce tic-tac régulier qui me captivait, m’intriguait. Souvent, je voyais mon grand-père tourner avec vivacité ce drôle de bouton dont je sais aujourd’hui qu’il porte le nom de couronne de remontoir et lui demandai un jour à quoi cela servait. Il me répondit: « Pour que le tic-tac ne s’arrête pas et que la montre continue à vivre ».
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Naissance d’une passion pour l’horlogerie
A cet instant, il ne savait pas que sa réponse serait le déclencheur de ma passion naissante pour l’horlogerie. Je fus saisie d’un enthousiasme soudain à l’idée que la montre puisse s’apparenter à un être vivant. Quel étrange organe que ce cœur battant dans un boîtier si minuscule m’étonnai-je ! Renfermerait-il d’autres composants de forme humaine ?

Perplexe, je n’ai eu de cesse de m’interroger quant au rapprochement entre la machine dite humaine et le mouvement mécanique horloger. En grandissant, j’ai approfondi mes connaissances en la matière par des lectures, quelques initiations horlogères et beaucoup d’heures passées devant les vitrines de grandes manufactures.
Amoureuse de belles pièces et curieuse de leur fonctionnement, je découvrais avec fascination la magie des garde-temps résultant du génie humain. Admirative, j’ai compris qu’ils sont l’aboutissement de l’intervention d’une multitude de métiers d’arts, de l’ingénierie, de la science…pour se présenter finalement comme de véritables oeuvres d’art, que les montres véhiculent non seulement le savoir-faire par la transmission de traditions mais témoignent également de l’histoire et ponctuent les époques.
La montre comme allégorie de l’être humain
Je me souviens qu’à l’adolescence, mon professeur d’espagnol me présenta Dali et ses oeuvres surréalistes dont un tableau de 1931 intitulé « La persistance de la mémoire » plus familièrement appelé « Les montres molles ». Cette toile me bouleversa par l’audace d’y incorporer des montres à gousset (celles de pépé ?) presque fondues et élastiques. J’ai réalisé à quel point les garde-temps (qui matérialisent le temps qui passe) étaient chez l’homme source de questionnements et d’inquiétudes face à la mort. Ils mesurent le temps qui s’égrène immuablement et contre lequel on ne peut lutter.
Peut-être Dali aurait-il dessiné aujourd’hui des montres squelettes encore plus symboliques plutôt que ses montres molles. Force était de constater que l’allégorie de Dali, au travers de son oeuvre, rapprochait encore le mécanisme humain du mouvement horloger. Je retrouvais donc cette analogie qui m’impressionne encore au plus haut point et force mon respect envers les horlogers.
Le corps horloger
Tout d’abord, le boîtier, que j’assimile aisément à l’enveloppe corporelle dont l’homme est fait et qui a pour but de protéger l’ensemble des composants/organes du mouvement. Il peut être orné de gravures tel un corps habillé de tatouages, il peut être de forme coussin, carré, ovale…au même titre que la carrure de l’être humain.
Puis le cadran qui, à l’origine, portait le nom de « montre », comparable à un visage laissant transparaître des informations par l’intermédiaire de ses aiguilles rotatives comme les yeux sont, chez l’homme, le miroir de l’âme.
Le barillet, semblable à nos muscles, qui accumule l’énergie produite par le système de remontage pour la diffuser aux engrenages du mouvement.
Les rubis, qui sont tournés, polis et percés à la façon de cartilages pour servir de coussinets aux différents axes des rouages de la montre.
Ces mêmes rouages mécaniques s’activant telles de petites articulations en plein mouvement.
Quant à l’ancre et l’échappement, ils ressemblent au cerveau ou à des artères qui transmettent l’énergie au balancier pour entretenir ses oscillations et son nombre d’alternances.
Le balancier-spiral enfin. Cette petite pièce si fragile que je ne connaissais pas du temps de mon grand-père et que je compare désormais formellement à un coeur humain qui oscille à la cadence des tic-tac qui ont à jamais marqué mon enfance.
L’horlogerie, source de questionnements
Ma fascination pour l’horlogerie est telle qu’elle me pousse à penser qu’à l’instar des hommes, la montre est pourvue d’une âme, au-delà de celle que l’on peut lui conférer parce qu’elle traverse l’histoire. Tout comme l’homme, celle-ci peut varier en précision au niveau du balancier/ spiral, notamment en cas de différence de pression atmosphérique ou de température, un peu comme un changement d’humeur subi par l’humain au cours d’un voyage.
De même qu’une montre dont on se défait au coucher, fonctionnant sans endurer de forces extérieures nuisibles au balancier, s’apparente à un humain au repos qui se mettrait à somnoler et dont le pouls est plus paisible. Les garde-temps peuvent également être dotés de grandes complications, à la manière d’humains extraordinaires munis de hautes capacités naturelles; je fais référence aux apnéistes, astronautes, alpinistes, athlètes, aviateurs, sportifs automobiles…
Mon appétence pour l’horlogerie découle de toutes ces découvertes qui m’émerveillent. J’ajouterais que, dans une société d’obsolescence qui vit à l’ère du jetable, les garde-temps, eux ne sont pas éphémères. Si leur cœur s’arrête, les pièces peuvent se faire sur mesure pour que les montres subsistent. Elles traversent les époques comme pour entreprendre, dès leur création, un grand et éternel voyage et témoigner des civilisations.
Djamila K. pour Passion Horlogère
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