Passion Horlogère a eu le privilège de pouvoir rencontrer Monsieur Thierry STERN, Président de Patek Philippe, pour un entretien exclusif. Cet homme de 42 ans, marié, père de deux enfants, 4e génération à présider à la destinée de la marque, et horloger de formation, démontre avec passion son amour et sa connaissance de la belle œuvre horlogère. Rencontre.

Thierry GASQUEZ – Bonjour Monsieur STERN, tous les amateurs et collectionneurs de montres connaissent Patek Philippe, mais rares sont ceux qui connaissent son Président. Comment vous présenteriez-vous ?
Thierry STERN – Ce n’est pas facile de se présenter soi-même … Je suis la 4ème génération à reprendre Patek Philippe. J’ai 42 ans, je suis marié, et j’ai 2 enfants. Je travaille avec ma femme que j’ai rencontrée chez Patek Philippe il y a 16 ans. Je suis, je pense, quelqu’un de passionné par l’horlogerie. Je viens de la production. J’ai commencé en faisant une école de commerce, ensuite j’ai rejoint la production chez Patek Philippe puis j’ai intégré une école d’horlogerie. L’avantage pour moi c’est de connaître le produit. Peut-être pas de A à Z mais en tout cas de très bien le connaître. Cela me donne la possibilité de pouvoir créer un produit fabricable parce que très souvent, malheureusement, on remarque que les designers nous font de très beaux dessins mais non réalisables. Ce qui n’a pas d’intérêt pour Patek Philippe.
TG – Patek Philippe est la marque horlogère mythique de l’univers horloger. Comment expliqueriez-vous votre statut de valeur étalon de l’horlogerie ?
TS – C’est dû à un travail de longue haleine. C’est quelque chose qui s’est bâti au fil des années puisque la marque date de 1839 et qu’elle a toujours voulu rester indépendante. Elle a toujours voulu développer, concevoir et fabriquer ses montres elle-même. On a acquis une connaissance qui n’est pas illimitée, parce qu’on apprend toujours, mais on a quand même capitalisé une grande connaissance et une grande expertise dans la fabrication de mouvements. C’est ce qui nous garantit aujourd’hui une légitimité au sein de l’horlogerie. Je ne sais pas si on est toujours au sommet de la pyramide, mais on essaie en tout cas d’y être. On a cette passion, ce savoir-faire et surtout l’outil de production qui va avec. Et enfin nous n’avons jamais cherché à nous diversifier. Aujourd’hui c’est ça la force de la marque. Patek Philippe fait des montres et ne fait que des montres.
TG – Nous pouvons apprendre à travers la communication de la marque que vous avez une implication personnelle dans le contrôle et la validation des pièces à grandes complications, notamment en ce qui concerne les répétitions minutes. Quelles sont vos autres contributions aux modèles Patek Philippe ?
TS – J’ai la responsabilité depuis une vingtaine d’années de créer l’ensemble des collections que l’on voit à Bâle. Ce qu’il faut savoir c’est que chez Patek Philippe, c’est toujours la famille qui gère le côté création de la boîte. Mais pas du mouvement, qui est un peu plus complexe et qui est développé par des ingénieurs. J’ai donc 20 ans de création chez Patek Philippe et ça continue aujourd’hui. C’est une grande contribution, mais un plaisir avant tout. Que ça soit dans les collections hommes, femmes ou des objets spéciaux. La définition des objets spéciaux chez Patek Philippe c’est des pièces émail, des pendulettes dômes, ou des objets artistiques pour lesquels on va travailler avec des artisans. Et souvent il s’agit de pièces uniques, comme pour la joaillerie. Pièces faites soit à l’unité soit sur demande.
Mes autres contributions, c’est qu’aujourd’hui je supervise 14 divisions qui sont les divisions de Patek Philippe. On travaille au sein du directoire où il y a moi-même -il y avait mon père qui n’en fait plus partie puisqu’il vient de prendre sa retraite- et notre directeur général. C’est le lieu où nous décidons de la stratégie pour Patek Philippe mais aussi les choix opérationnels avec l’ensemble des responsables de ces divisions. Patek Philippe est une entité bien contrôlée par la famille au quotidien. C’est ce qui est important car nous connaissons bien tout notre outil de production, mais aussi l’aspect commercial qui est peut-être le côté plus facile dans l’horlogerie.
TG – Une montre Patek Philippe est perçue comme une valeur patrimoniale transmissible de génération en génération. Quelle est la pièce maîtresse qui vous est destinée par votre père, et quelle est celle que vous transmettrez à votre tour ?
TS – Pour nous, c’est un petit peu différent puisque nos pièces sont directement destinées à notre musée. Typiquement, à notre décès, la pièce est léguée à notre musée.
Nous avons déjà quelques pièces appartenant à la famille qui sont au musée. Ce qu’on se transmet de génération à génération, ce n’est pas la montre mais l’outil de production qui va nous permettre de créer ces montres. C’est un peu différent mais toujours le même principe. Mais il est vrai que chaque génération se fait peut-être plaisir en faisant une montre qui sort de l’ordinaire, que l’on va porter, ou pas. Dans ce dernier cas il s’agit de prototype. Mon père en a créé une pour lui. Il la porte. Moi j’ai une petite idée mais je ne l’ai pas encore réalisée. L’idée a déjà germé dans ma tête. Et quand je ne serai plus là, cette montre ira au musée et je transmettrai l’outil de production Patek Philippe à la prochaine génération.
TG – Le musée Patek Philippe à Genève regorge de trésors horlogers de toutes marques. Êtes-vous, vous-même collectionneur ?
TS – Je suis collectionneur mais là aussi je centralise tout au musée. Il serait aberrant pour moi de commencer une nouvelle collection en dehors du musée. Mon père le dirige de par son expertise de plus de 45 ans. Moi-même, à 42 ans je ne peux pas gérer le présent, planifier le futur et reprendre tout le passé. Donc les responsabilités sont divisées et c’est lui actuellement qui supervise l’achat des pièces pour le musée. J’ai toujours baigné dans ces ambiances, j’adore regarder tous ces magazines de vente aux enchères. Je connais assez bien ce monde-là mais pour être honnête je laisse faire mon père, pour l’instant. Très souvent on en discute ensemble. C’est assez fréquent que je me présente à son bureau en lui présentant une pièce qui pourrait rejoindre le musée et très souvent il est déjà en train de la regarder. Nos goûts sont assez similaires.
Pour en revenir à votre question initiale, ma collection fait partie du musée et je trouve essentiel qu’elle puisse être présentée au public. J’aurais beaucoup de peine à garder ces pièces dans un coffre sans pouvoir les partager avec d’autres personnes. La volonté de notre famille est donc de partager notre passion et nos collections avec tout le monde puisque notre musée est ouvert au public.
TG – Une des nouveautés 2012 Patek Philippe, votre chronographe à rattrapante, est considérée comme étant très compliquée à fabriquer aussi parfaitement que vous le proposez. Selon vous quelle est la complication la plus noble ?
TS – Ce n’est pas facile, je ne sais pas s’il y en a une qui est plus noble que l’autre. A ce niveau-là, que ce soit une rattrapante, un tourbillon, une répétition minute ou même un quantième perpétuel, ce sont toutes des complications nobles à produire. C’est plutôt dans la manière de les faire et de les terminer que se trouve la noblesse. On peut tout à fait produire ces 4 complications d’une manière très sophistiquée, mais sans soigner esthétique et détails. Cela veut dire que les terminaisons ne seront pas très attractives. L’autre option serait de faire comme Patek Philippe fait. C’est-à-dire produire une pièce qui fonctionne parfaitement bien et qui en plus est terminée. Cela se rapproche plus de l’art que de l’objet technique et fonctionnel. C’est peut-être ça la noblesse d’un produit, c’est de terminer, à la main, d’une certaine manière, avec des anglages qui vont reproduire des courbes magnifiques, et un poli qui va être superbe. Pour moi, c’est ça la noblesse horlogère.
TG – Les modèles Aquanaut et Nautilus connotent une vocation « sport chic ». Songez-vous dans un avenir proche à proposer une nouvelle montre ayant cette vocation ?
TS – Aujourd’hui, je n’ai pas vraiment dans mon « tiroir création » d’autres modèles sport chic de ce genre. Je pense qu’avec l’Aquanaut et la Nautilus, on a déjà 2 modèles très forts qui n’ont pas encore fini d’être développés. Ces 2 modèles peuvent être encore développés du côté du mouvement mais aussi du côté du style. Ça me fait toujours penser un petit peu à la Porsche 911 qui est là depuis plusieurs dizaines d’années mais qui évolue gentiment. C’est ce que j’essaie de faire avec ces modèles et c’est ce qu’attendent aussi nos clients. Nos clients collectionneurs aiment bien avoir la possibilité de collectionner une pièce et de s’y retrouver dans la ligne. Ils n’ont pas tellement envie d’avoir des changements trop violents. Et aujourd’hui, je ne pense pas nécessaire de faire évoluer ces 2 modèles ou plutôt d’en remplacer un. Ces 2 modèles fonctionnent bien, ils ont encore une grande vie devant eux. Peut-être qu’un jour on devra les remplacer. C’est évident, mais pas maintenant.
TG – Quelle montre conseilleriez-vous à un amateur passionné pour découvrir l’univers Patek Philippe ?
TS – L’erreur serait de vouloir tout de suite acquérir une montre très compliquée. Je pense qu’il faut déjà commencer par une montre que l’on aime car c’est quelque chose que l’on va porter. Une Patek Philippe n’est pas faite pour rester dans un coffre. C’est un objet qui est beau, qui a été testé, qui a été créé pour être porté au poignet. La 1ère étape serait de choisir celle que l’on aime. La 2ème étape se situe au niveau du mouvement. Aujourd’hui, il existe 2 écoles : celle qui privilégie le mouvement mécanique à remontage manuel et l’autre, celle qui privilégie le remontage automatique. Moi, il est vrai que je suis issu de l’école du mouvement automatique. Je conseillerais plutôt un mouvement automatique sur une base par exemple de calibre 324. Ces numéros sont les codes calibres que nous utilisons. Et justement, vous parliez de la Nautilus qui, je pense, est une pièce magnifique. Elle présente l’avantage de pouvoir être portée en jean’s, de ne pas craindre la baignade, et de pouvoir se montrer assez élégante pour une tenue de soirée. Ce sont tous les avantages qu’elle présente. Et c’est une pièce qui peut-être en acier ou en or. Ce qui offre une palette élargie question tarifs. Donc si je devais vous en conseiller une à vous par exemple, ce serait probablement la Nautilus 5711/1A.
TG – Quel message voudriez-vous adresser aux amateurs, passionnés et collectionneurs de Passion Horlogère ?
Monsieur Stern, merci.
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