Avoir l’opportunité, dans la vie d’un passionné d’horlogerie indépendante, d‘infiltrer le mystère MB&F, est un privilège qui ne peut se refuser. Cette jeune marque, MB&F (Maximilian Büsser and Friends), a su se démarquer, depuis sa création il y a maintenant 6 ans, par le rendez-vous quasi-annuel qu’elle nous fixe par la révélation de ses différentes « machines ».
Mais de qui parlons-nous, au juste ? Tout d’abord de Maximilian Büsser, diplômé de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, puis responsable Produit et Ventes/Marketing chez Jaeger-LeCoultre dans les années 90. Cet homme a réussi à redynamiser la belle endormie qu’était Harry Winston (Division Horlogerie) en tant que Directeur Général. Pour redonner du sang neuf à cette marque, Max a l’idée de donner chaque année carte blanche à des horlogers indépendants géniaux. Vous connaissez la suite, le Concept Opus voit le jour, et celui-ci nous offrira systématiquement des pépites horlogères hors du commun. F-P Journe, Félix Baumgartner, notre ami Vianney Halter, Christophe Claret ou le duo Greubel et Forsey, excusez du peu, ont grossi les rangs du Marché Opus.
A titre informatif, Maximilian Büsser aura contribué aux cinq premières Opus (F-P Journe, Antoine Prezuiso, Vianney Halter, Christophe Claret, et Félix Baumgartner). Max travaille donc – déjà – avec des amis, mais se sent toujours à l’étroit dans cette grande maison qu’est Harry Winston Rare Timepieces, nourrissant sa colère à l’encontre de l’immobilisme de ce secteur. Il veut aborder l’horlogerie sous un autre angle, se nourrissant de défis techniques, de passion, d’audace et d’amitiés.
L’idée qui le travaille depuis longtemps se fait enfin jour en Juillet 2005, lorsqu’il crée MB&F (Maximilian Büsser and Friends). Pour ce faire, il se tourne naturellement vers… ses amis. Effectivement, outre une équipe permanente d’une dizaine de personnes que nous détaillerons par la suite, chaque projet de MB&F s’articule systématiquement autour de la collaboration avec des génies horlogers, et des spécialistes en savoir-faire spécifiques. Mais cette histoire est aussi influencée par des rencontres avec des artistes indépendants, dans de nombreux domaines culturels. Et toutes ces implications viennent nourrir la liste des Friends ayant contribué à cette formidable aventure.
Mais la création d’une entité horlogère telle que MB&F ne se fait pas sans difficulté. Les quelques (mais néanmoins nombreux) deniers que Max Büsser a placé pour lancer l’affaire s’annonçant insuffisants, l’homme est allé lui-même pré-vendre ses créations (alors pas encore fabriquées) auprès d’amis-détaillants de confiance, en leur présentant un prototype sommaire au cadran imprimé sur papier ! Les capitaux de départ étant rassemblés, la marque lance son premier OVNI Horloger : la Horological Machine No.1, en 2007. Un modèle à l’architecture et aux proportions aux antipodes de tout ce qui a déjà été vu dans l’Horlogerie, point de vue Indépendants compris. C’est l’ami Peter Speake-Marin qui se met au travail et fédère ses propres relations autour de ce projet fou. Réussite immédiate.
La suite est désormais connue de tous : chaque année, MB&F nous gratifie de projets hallucinants, que ce soit par leur design, leurs process de fabrication, leur mode d’affichage… Toujours à contre-pied de notre imagination, de grandes gifles pour les esthètes que nous sommes, mais aussi un poil à gratter pour les bien-pensants de l’Horlogerie actuelle. Ici, point de partenariats avec des sportifs, pas de pseudo-exploits, pas de jet set, ni de montre qu’on achète pour sa descendance… Chez MB&F on parle pêle-mêle de battes de baseball criblées de clous et décorées de jolis papillons, de saphirs taillés d’une seule pièce durant plus de 4 semaines, du Fairchild A-10 « tueur de chars » , de Porsche 911 2.8l RSR, de chouettes serties, de la difficulté de déporter l’affichage sur 2 cadrans perpendiculaires au mouvement, de Jules Verne, de Goldorak et de son incontournable Astéro-Hache (devenue emblème de la marque et masse oscillante officielle), ou encore de lévitation du balancier au-dessus du cadran…
MB&F, comme stipulé plus haut, c’est avant tout une ossature permanente, associant le savoir-faire de vrais spécialistes dans leur domaine respectif.
- Maximilian Büsser
Créateur de la marque, initiateur de tous les modèles, chargé de la création.
- Serge Kriknoff
Associé arrivé en 2008, directeur de la production
Chargé de la conception technique et de la production
Ex-directeur général de G&F Châtelain.
- Didier Dumas
Horloger, chef de l’atelier
Responsable de l’assemblage et du contrôle qualité, consultant lors des phases de conception des nouveaux modèles
- Georges Veisy
Horloger
Serge Kriknoff Didier Dumas Georges Veisy
- Alexandre Bonnet
Horloger
- David Lamy
Responsable Logistique (Coordination, planification et gestion de la logistique liée à la production)
- Charris Yadigaroglou (Notre hote)
Directeur de la communication (Relations Presse, Community Management, Trade Marketing)
Alexandre Bonnet David Lamy Charris Yadigaroglou
- Virginie Meylan
Responsable Trade Marketing (outils de communication et promotion : imprimés, PLV, site internet, salons, etc.)
- Céline Cammalleri
Administration des ventes
- Isabelle Boutantin
Manager, MB&F M.A.D.Gallery
Virginie Meylan Céline Cammalleri Isabelle Boutantin
La discussion avec ces passionnés est des plus instructives. On découvre par exemple que le plus gros challenge de MB&F n’est pas de vendre ses machines horlogères hors du commun (Maximilian nous avouait sa surprise sur ce sujet) : c’est plutôt de leur donner vie ! C’est d’amener des partenaires ciblés à collaborer sur des projets très innovants, complexes, pour des volumes de production très faibles. Le défi technique avant le chiffre, en somme.
La passion communicative de Max, alliée aux compétences techniques de Serge leur permettent de déplacer des montagnes, d’étendre leur réseau d’amis, de proposer des objets sublimes, d’une immense technicité, d’une incroyable audace. Que ce soient les boîtiers, les mouvements, les modes d’affichage, l’adhésion de vos deux envoyés spéciaux est totale.
Même leurs écrins sont absolument géniaux, ici une soucoupe volante, là une manette de gaz d’avion… A titre d’exemple, lors du développement de la HM4 unique ornée d’un Panda à cheval sur les réacteurs façon Podracer de Star Wars (destinée à la vente aux enchères caritative annuelle Only Watch), MB&F a poussé le détail jusqu’à fabriquer un écrin spécifique, lardé de coups de griffes, comme si le fameux Panda essayait d’ouvrir la boîte pour récupérer son bien ! Des coffrets qui, au lieu d’être rangés au fond d’un placard (avouez que vous ne vous servez pas des vôtres !), seront plutôt fièrement exposés à la vue de tous, telles des œuvres d’art.
En parlant d’écrin et d’art justement, MB&F vient de créer un lieu lui permettant d’exposer son univers et ses créations : The MB&F M.A.D. Galery, M.A.D. pour Mechanical Art Devices. Fraîchement inaugurée, pas vraiment une galerie d’art, pas le flagship de la marque non plus, mais l’idéal compromis, en adéquation avec la philosophie de l’enseigne… Nous avons donc affaire à un très beau lieu, moderne et contrasté, dans une rue tranquille de Genève, au milieu de boutiques de Design, de High-End, dans ce quartier pour esthètes.
Dans cette galerie, sont bien sûr exposées les Horological et maintenant Legacy Machines, mais aussi d’autres objets : sculptures, lampes, robots, des œuvres choisies par Max, fruits de rencontres avec des artistes singuliers. Tous ces objets sont une partie de l’univers de MB&F et s’y intègrent comme les morceaux d’un tout. Telles ces lampes, inspirées de la Science-Fiction des années 50, conçues et fabriquées de A à Z par Frank Buchwald, graphiste/designer allemand, travaillant dans le fond de son atelier mal chauffé. Dans les projets de la galerie, l’intégration dans la vitrine d’un robot à forme humaine, capable d’interagir avec le passant, ou encore l’arrivée prochaine de motos improbables fabriquées dans un coin perdu du Japon par un créateur jusqu’auboutiste. Le mur du fond est couvert d’une toile exposant le portrait de tous les Friends, de la place étant prévue pour les prochains… Tout, dans la galerie MAD, est en phase avec la philosophie de MB&F. C’est un lieu d’exposition et d’échanges pour les amis de la marque.
Passons maintenant aux ateliers situés à deux pas de la galerie. La traversée d’une terrasse nous mène vers une maisonnette, un chalet de montagne en plein quartier historique de Genève, posé au-dessus d’une taverne. Un lieu absolument improbable, de quelques dizaines de mètres carrés, où se déroule l’aventure MB&F, en plein déménagement lors de notre visite.
Ici, pas de strass, pas de salon d’exposition, pas d’énergie gaspillée pour les apparences. On va à l’essentiel, et on s’amuse en visitant, à reconstituer les influences de MB&F à travers quelques objets déposés çà et là…
Les horlogers sont au nombre de 3, dans une pièce minuscule. Didier, Georges, et Alexandre sont occupés à travailler les pièces exceptionnelles MB&F (des Horological et Legacy Machines, mais aussi la fameuse Jwlry Machine, HM3 designée par Boucheron). Ils nous accordent pourtant quelques minutes pour papoter avec nous, nous montrer leur outillage, les mouvements avant montage, mais aussi pour nous évoquer leur quotidien.
A notre question concernant la spécialisation de chaque horloger sur tel ou tel modèle, Georges nous explique, le sourire aux lèvres, qu’il vaut mieux que chacun sache tout faire, dans le cas où l’un d ‘entre eux décèderait… Trait d’humour noir jeté dans la conversation, qui détend évidemment l’atmosphère.
Devant leur simplicité, on aurait tendance à oublier à quel point ces horlogers sont talentueux.
A la délicate question du SAV, Didier nous explique que, vu le faible taux de retour, ils n’ont pas trop de travail, celui-ci passant toutefois en priorité… On peut les croire, à voir l’hallucinante finition de leurs montres, et le soin employé à leur assemblage.
Après un déjeuner très agréable, arrosé d’un petit verre de Graves, nous repassons à la galerie MAD avec en vue, l’immense privilège de pouvoir photographier tous les modèles de la gamme. Le but n’est pas d’aligner les superlatifs, les clichés parleront d’eux-mêmes. Tout, absolument tout, est à tomber à la renverse. Chaque vis (à empreinte spécifique), chaque traitement de surface (conservé avec le traitement PVD), chaque agencement, tout est sublime. Nous sommes devenus des inconditionnels. A la question cruciale : « Laquelle ? », une seule réponse possible : « TOUTES ! ». Toutes racontent une histoire, décrivent un Univers, dévoilent leurs influences, et toutes sont différentes, avec à chaque fois ce même pincement au cœur quand il s’agit de les restituer…
La HM1, dévoilée en 2006, est un véritable jalon dans l’histoire de l’Horlogerie Indépendante, avec son architecture en « Huit Horizontal », dévoilant les indications Heure-Minutes, séparées par un Tourbillon. Les codes MB&F, si on peut les considérer comme tels, sont déjà là : un boitier, un affichage et des proportions inédits, et un composant mécanique reprenant la forme de l’Astéro-Hache (ici la masse oscillante déportée), clin d’oeil au manga Goldorak, belle illustration de la fantaisie de ses créateurs.
La HM2, en 2008, reprend l’architecture horizontale de la 1, mais en modifie la forme, (rectangulaire, cette fois) ainsi que son double affichage. D’un côté, la date rétrograde et une phase de lune double hémisphère. De l’autre, une association Heure Sautante/Minute Rétrograde du meilleur effet. Au verso, l’Astéro-Hache Oscillante est toujours là, mais au centre cette fois-ci. Disponible en association de métaux précieux, la HM2 s’est vue offrir une transparence inattendue par le biais d’une édition finale recouverte d’un somptueux verre saphir laissant entrevoir la complexité de la belle, et le contrastant joint d’étanchéité de couleur, ayant pour une première fois, un rôle esthétique.
MB&F crée une nouvelle fois la surprise, en 2009, avec la HM3, au boitier original influencé par les vaisseaux spatiaux de Science-Fiction. Disponible en deux modes d’affichage (vertical ou horizontal), répondant aux doux noms de Sidewinder et Starcruiser, cette pièce présente la particularité d’offrir à l’utilisateur la vision de l’indication horaire, mais aussi celle du mouvement coté Astéro-Hache oscillante. L’affichage prend la forme de deux dômes fixes (heures et minutes), autour desquels tournent des aiguilles indiquant les informations respectives. Cette HM3, outre cette configuration « standard » (standard étant un mot difficile à utiliser chez MB&F), s’est vue déclinée en version « Rebel », intégralement noire, destinée à être portée au poignet droit, mais aussi en version dite « Frog ». Ici, ce sont les dômes qui tournent sous des magnifiques demi-globes de saphir (tels des yeux de grenouille) comportant un index indiquant l’information. Une série limitée en PVD noir, avec une masse oscillante en PVD vert, insiste encore sur la métaphore batracienne.
Que pouvait donc nous réserver MB&F en 2010 ? De l’audace, bien sûr, encore, toujours, plus que jamais ! Avec la HM4 « Thunderbolt », MB&F se rapproche du domaine de l’aviation, en s’inspirant des nacelles de réacteurs du cocasse chasseur Fairchild A-10 tueur de chars. Fonctionnellement, cette pièce indique les heures et les minutes, ainsi que la réserve de marche. Mais la complexité est technique, car ces informations sont réparties sur 2 mini-cadrans dissociés, mais également perpendiculaires au mouvement. De plus, chaque cadran est prolongé par un corps fuselé tel une tuyère, et terminé par une couronne. Ainsi, chaque manipulation a sa couronne, une pour le réglage, et l’autre pour le remontage. Avec une telle configuration, le calibre présente une architecture complexe, pour transmettre le mouvement aux afficheurs déportés. Bien sûr, l’Astéro-Hache est toujours présente, mais remplit cette fois-ci la fonction de pont du mouvement.
La Legacy Machine, en 2011, a pris tout le monde à contre-pied. Quel raisonnement a poussé MB&F à sortir une montre ronde, avec un mouvement décoré à l’ancienne, en maillechort ? Selon Max Büsser, la LM1 est sa vision de l’Horlogerie s’il était né un siècle plus tôt, s’il avait sorti cette pièce en 1911, en s’inspirant, en lieu et place des Goldorak et autres vaisseaux de Star Wars, des univers de Jules Verne et Gustave Eiffel. L’architecture du mouvement définie, c’est Jean-François Mojon qui est approché pour en assurer la conception. Kari Voutilainen, lui, est sollicité de par sa grande expérience en horlogerie historique et traditionnelle, pour définir une esthétique et des finitions en accord avec le début du 20ème siècle. Ce calibre, justement, si simple en apparence, possède des caractéristiques incroyables. En effet, il présente la capacité, à partir d’un seul mouvement, de pouvoir régler heures ET minutes indépendamment pour chaque fuseau horaire indiqué par son cadran. Ensuite, Kari prend le parti de disposer le système d’échappement côté cadran, en sublimant le tout par un balancier à l’oscillation lente (18000 alt/h), flottant au-dessus des cadrans, sous ce saphir d’un bombé touchant au divin… Et la sublime décoration du mouvement réalise l’exploit de nous faire oublier l’absence du balancier côté calibre ! Magique !
Vous l’avez compris dans ce compte-rendu : après une telle journée, faite de rencontres et d’émerveillements, nous sommes tombés amoureux. Non pas d’une marque, qui s’apparente plus à un concept d’ailleurs, mais plutôt d’une bande d’amis, capables de réussir l’impossible, en se préoccupant des conventions à peu près autant que de leurs premiers souliers… Capables de mêler les idées les plus folles à la plus grande rigueur, de soulever des montagnes par les défis qu’ils proposent, le tout pour créer des objets d’une beauté époustouflante, d’une audace inédite dans ce milieu. Le tout dans la plus grande simplicité.
On a vraiment envie de devenir un des « F » de MB&F.
Encore mille mercis à Maximilian Büsser, à Charris Yadigaroglou, et à toute l’équipe MB&F pour leur accueil et leur disponibilité.
Textes et Photos : Frédéric Dru et Olivier Gilo, pour Passion Horlogère
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