Ludwig Oechslin, Directeur du Musée International de l ‘Horlogerie à la Chaux-de-Fonds, remet le Prix Gaïa 2013 à Andreas Strehler
Andreas Strehler est né à Winterthur (Suisse Alémanique) en 1971. Son père est collectionneur amateur de montres de poches à petites complications et affichages spéciaux. Andreas est très vite attiré par ces drôles de petites machines dont il passe des heures à comprendre le fonctionnement. C’est l’époque du quartz-roi mais le jeune homme sait exactement ce qu’il veut faire et s’en donne les moyens : il commence son apprentissage de l’horlogerie à Frauenfeld et mène ses études de « rhabilleur » à Soleure (Solothurn) où il passe brillamment l’examen final en 1991 avant de rejoindre à 20 ans l’atelier Renaud et Papi au Locle directement en tant qu’expert-concepteur !
Andreas y devient rapidement chef prototypiste de l’atelier et côtoie les frères Grönefeld, Stephen Forsey, Kari Voutilainen, Peter Speake-Marin … Il travaille en particulier à la conception d’une répétition minutes en hommage à John Schaeffer et contribue à plusieurs autres projets de mouvements. Mais son besoin d’indépendance l’incite à monter en 1995 avec l’aide de son père son propre atelier de conception et restauration dans le garage familial.
C’est dans cet environnement intimiste qu’il mène de front la réalisation de 5 exemplaires de répétition minutes pour Audemars Piguet tout en restaurant des montres anciennes à complications. Mais il y prolonge aussi son plaisir en concevant et réalisant seul ce qui peut être considéré comme son chef d’œuvre initiatique : une magnifique horloge de bureau en sorte d’hommage contemporain aux modèles historiques à mécanisme « sympathique » de Louis Bréguet.
Cette pièce unique qu’il présente au monde horloger admiratif en 1998 à Baselworld lui aura demandé 3000 heures de travail ! Réalisée en laiton doré, sa partie fixe affiche jour de la semaine, quantième, mois et année. L’heure se lit sur la montre de poche en acier damassé positionnée sur le berceau supérieur. Seule cette partie mobile possède l’organe réglant, ce qui signifie que le quantième n’avance plus lorsque les deux parties sont désolidarisées et que son propriétaire part en voyage la montre en poche. Mais l’astuce d’Andreas, et en quoi il rejoint ici son illustre prédécesseur, est d’y embarquer un mécanisme à mémoire qui enregistre jusque sur 3 semaines les passages à minuit.
Au retour chez soi, il suffit de repositionner la montre dans son berceau pour enclencher le mécanisme de remise à jour des indications de quantième ! Et tout est prévu par Andreas : au-delà des 3 semaines ou en cas d’arrêt prolongé de l’ensemble, un dispositif de réglage spécifique positionné sur le berceau permet le réglage à la bonne date. Enfin, l’énergie nécessaire au bon entraînement des rouages intégrés dans le socle est fournie tous les 6 mois par l’activation d’une colonne à piston décorée de lapis lazuli.
Le tout est superbement mis en valeur dans un écrin en bois ouvragé qui renforce encore le côté Art Nouveau tout-à-fait savoureux de ce Quantième Perpétuel de table inédit !
Dès 1999, Andreas Strehler produit une autre pièce unique au format montre de poche qu’il baptise simplement la Zwei . Fruit de ses réflexions et de ses recherches sur l’affichage alternatif qu’il met en œuvre grâce à un mécanisme d’engrenages à différentiel de sa conception, c’est aussi la première fois qu’il utilise les indications horaires pour visualiser les mois, principe qu’il réutilisera ultérieurement sur la Moser Perpetual 1.
Une pression sur le bouton à 10h et l’aiguille des heures indique ainsi le mois alors que simultanément l’aiguille des minutes indique la date, le tout sans interruption du mouvement.
Andreas produit en 2001 cette Zwei en version montre-bracelet qui reprend à peu de choses près le même principe, une pression sur le bouton à 2h permettant à l’aiguille des minutes d’indiquer la date. Deux fois de suite, il réalise ainsi une première horlogère en matière d’affichage alternatif, démontrant encore avec brio tout son talent d’ingénieur-concepteur sans cesse à la recherche de nouvelles façons de raconter le Temps.
En parallèle, il travaille à la réalisation du Chronoscope pour la marque Chronoswiss, modèle de chronographe mono-poussoir qui obtient le titre envié de Montre de l’Année en 2003.
Sa réputation grandit au sein de l’Association des Horlogers Concepteurs Indépendants à tel point que Jürgen Lange, en passe de relancer la manufacture H. Moser & Cie, fait appel à son inventivité pour imaginer les mouvements de sa nouvelle ligne, dont celui de l’extraordinaire Perpetual 1. Andreas Strehler dote en particulier ce calendrier perpétuel d’un saut de date instantané et d’un dispositif de réglage sécurisé à la couronne. Il reprend aussi l’idée appliquée à l’origine à la Zwei pour indiquer le mois en cours au moyen d’une aiguille pointant sur les index des heures.
Rien d’étonnant si la Moser Perpetual 1 s’est vu décerner le Prix de la Montre compliquée au Grand Prix d’horlogerie de Genève en 2006. Andreas réalisera ainsi 10 calibres pour H. Moser & Cie entre 2001 et 2007.
En 2005, Andreas Strehler dépose les statuts de sa société UhrTeil AG, un jeu de mots qu’affectionne son père dont il reste très proche : en allemand Uhr Teil veut dire en effet « pièce ou composant de montre » alors que son homonyme Urteil signifie « jugement ». Il travaille alors au développement du calibre qui anime Le Chronographe Maurice Lacroix et s’installe en 2007 dans de nouveaux locaux à Sirnach où il se dote d’un atelier de 300m2 attenant à la maison et où une équipe de huit personnes l ‘assiste aujourd ‘hui.
La maison Harry Winston fait à cette époque appel à lui pour la conception de son Opus 7 : Andreas y développe son concept d’affichage alternatif en imaginant de visualiser sur un seul disque les indications d’heures, minutes et réserve de marche tout en ouvrant largement le cadran sur un train de rouages surdimensionné fixé sous un réseau de ponts auquel il donne la forme d’un papillon stylisé dans le style Art Nouveau qu’il affectionne tant.
Une pression sur le protège-couronne et le pointeur H se positionne en périphérie du cadran pour donner l’heure. Une nouvelle pression et le M indique les minutes. Une dernière pression et c’est le R qui fournit la réserve de marche restante sur 60 heures !
Andreas Strehler reprend ensuite sous sa propre marque l’idée du Papillon pour la montre du même nom qu’il présente à Baselworld 2008. Pas d’affichage alternatif cette fois mais des indications séparées et simultanées de l’heure et des minutes sur 2 disques animés par un train de rouages centré sur des roues géantes de 192 et 175 dents. Le mécanisme est complexe dans le détail (avec 2 barillets et un système d’entraînement élaboré afin de minimiser l’énergie consommée) mais visuellement léger et aérien.
En 2012, Andreas fait évoluer sa création en l’emprisonnant symboliquement dans un Cocon : les ponts et le train de rouages admirés sur la Papillon à travers la face squelettée sont maintenant uniquement visibles au verso comme dans une chrysalide et la lecture au cadran redevient plus conventionnelle avec un affichage classique par aiguilles et l’ajout de la petite seconde.
En 2013, avec la Sauterelle, Andreas Strehler ajoute une touche de complication à la Cocon en lui intégrant un dispositif de remontoir d’égalité au niveau du cadran des secondes : le mécanisme de rotation du satellite en étoile qui court de 6° en 6° sur un spiral additionnel permet à l’ensemble du mouvement de conserver une amplitude constante quel qu’en soit le degré de remontage, ce qui lui donne une précision supplémentaire tout au long des 78 heures de réserve de marche disponibles.
Il y aurait beaucoup à dire également sur les engrenages coniques dont Andreas s’est fait le spécialiste reconnu et pour lesquels il a développé lui-même une machine-outil dédiée ou sur sa passion pour l’informatique qui le rapproche en cela d’un Fabien Lamarche par exemple. Et encore plus à dire avec le Chapitre 3 des Maîtres du Temps « Reveal » réalisé avec son ami Kari Voutilainen et présenté à Baselworld 2012. Mais il y faudrait un article à part entière !
Pour finir, voici quelques photos réalisées à la volée lors de la rencontre organisée par notre amie Ekaterina dans son temple parisien des horlogers indépendants, EKSO Watches Gallery.
Papillon, Cocon et Sauterelle
Papillon
Cocon
Sauterelle
S’il fallait retenir une chose d’Andreas Strehler, c’est cette envie permanente d’inventer, d’innover, de faire éclore et naître à la réalité des «organismes vivants» qui n’ont encore jamais existé et qui permettent de renouveler les thèmes de l’horlogerie. Le tout sans jamais perdre de vue que les mouvements qu’il conçoit se doivent de rester aisément démontables et réparables, justement parce qu’ils sont complexes !
Pour Passion Horlogère : Rédaction et photos finales Luc J. / Photographies UhrTeil (sauf Laurent A. pour la Moser Perpetual 1)
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