En ce 28 mai à la météo hivernale, je retrouve le dynamique Yann, directeur de la boutique Audemars Piguet de la rue St. Honoré à Paris en compagnie de Paul, véritable mémoire de la Manufacture Audemars Piguet au bien nommé Hôtel des horlogers du Brassus. Cet hôtel, véritable institution et lieu stratégique où se rencontrent régulièrement tous les acteurs de l’horlogerie, est connu de tous au sein de la Vallée de Joux. Il est la propriété de la maison Audemars Piguet dont la Manufacture est à 30 mètres, et y accueille chaleureusement tous ses visiteurs. J’étais donc arrivé au Brassus pour deux journées de visites intenses d’une des plus fameuses manufactures de la galaxie horlogère. Découverte.
Nous débutons la visite de la Manufacture par le musée privé où sont exposées des pièces fabriquées dans la vallée de Joux et n’étant pas forcément en relation avec la marque. La Vallée de Joux est reconnue pour être la patrie des grandes complications. Paul nous présente nombre de pièces datant du XVIIIe et du XIXe siècles, plus fascinantes les unes que les autres. Et il nous apprend quelque chose de fabuleux.
Les décorations (côtes de Genève ou perlage) avaient autrefois une fonction qui dépassait le simple souci esthétique. Elles retenaient poussières et huiles qui s’écoulaient. C’est la première fois que j’entendais cette information très intéressante, qui aurait pu justifier à elle seule cette visite du musée.
Paul nous a conduit ensuite à l’atelier de rénovation. Il se situe sous les toits, au dernier étage de la Manufacture historique, ancienne ferme horlogère, à l’endroit même où officiaient les maîtres horlogers de l’origine, au premier rang desquels Jules Audemars. Les trois horlogers présents dans les lieux ont cette étincelle dans le regard qui dénote la fierté de s’inscrire dans les pas de leurs illustres aînés.
Ils accueillent dans leur atelier des pièces anciennes ayant eu un lien avec Audemars Piguet. Ils travaillent avec des clients privés, institutionnels ou directement pour fournir le musée Audemars Piguet. Les pièces sont révisées ou restaurées pour au final sortir à l’identique de ce qu’elles étaient. Mais, lorsqu’il y a une demande spéciale d’un client, ils peuvent y répondre dans la limite du respect de la pièce originelle. Par exemple, un client désireux de changer la boite de sa savonnette à grande complication a pu l’obtenir en platine plutôt qu’en or. Mais la pièce est intrinsèquement restée inchangée.
Lorsque des restaurations sont réalisées, si les pièces sont « restaurables », c’est réalisé. Sinon elles sont refaites à l’identique. Pour cela les horlogers utilisent des vieilles machines, comme à l’origine. Comme par exemple cet arc à écrouer pour durcir la matière et répondre aux exigences de conformité avec la pièce originelle.
Chaque pièce est ensuite livrée avec tout un dossier de restauration. Croquis, photos, données techniques sont présentés pour que le client ait un aperçu du travail effectué. Ceci justifie à la fois le temps passé à restaurer la pièce et le tarif de cette restauration qui peut atteindre parfois des sommes considérables.
Les trésors du patrimoine
Dans un bureau attenant, nous rejoignons Christophe, en charge de la gestion du patrimoine de la Manufacture. Il détient les trésors de la Manufacture, à savoir ses registres. La production d’Audemars Piguet depuis 1875 est répertoriée dans ces registres. Toutes les pièces sans exception y sont reprises. Avec une production de 30 000 montres / an aujourd’hui, je vous laisse imaginer le travail considérable que cela représente. Ces registres sont ensuite numérisés et consultables par tout le réseau de la marque. De plus, pour les possesseurs de pièces anciennes achetées en ventes aux enchères ou en seconde main, Audemars Piguet délivre des certificats d’authenticité à la demande des clients. C’est toute la force de la marque que d’avoir toujours tenu à jour ses registres clients.
Clou de cette visite, Christophe nous présente des pièces exceptionnelles issues du musée Audemars Piguet dont quelques « Grandes Complications » dont il nous délivre la définition :
« Chez Audemars Piguet, la grande complication doit cumuler un Quantième Perpétuel, une répétition minute, un chronographe, et une rattrapante. Cette définition existe depuis 1882, et demeure inchangée au sein de la Manufacture. »
Cette montre mythique et emblématique de l’horlogerie moderne est la fierté d’Audemars Piguet. Elle a signé le renouveau de la marque en 1972 lorsqu’elle a été présentée au public. Un slogan publicitaire audacieux la présentait déjà comme une rivale des montres en or. Il aura fallu deux audaces pour enfanter cette merveille horlogère. Le coup de crayon génial de Gérald Genta, et le coup de poker de Georges Golay, directeur d’alors chez Audemars Piguet. Après avoir défrayé la chronique, cette montre rencontra le succès qu’on lui connaît depuis plus de 40 ans déjà, et loin d’être remis en question avec le nombre considérable de déclinaisons connu. Elle continue d’inspirer les designers maison et de nombreux nouveaux clients chaque année.
La Vallée de Joux compte 6500 habitants et 7000 emplois dans l’horlogerie. C’est un véritable carrefour d’activité économique et horlogère. Un poumon pour toute la région transfrontalière. Audemars Piguet y dénombre 750 personnels à elle seule. A ce chiffre il faut ajouter 150 au Locle, 50 à Genève pour les cadrans, et le reste dans le monde pour atteindre un total de 1200 employés.
Cette marque compte énormément dans le paysage industriel de la région. Des agrandissements successifs lui ont permis d’atteindre la surface maximale autorisée sur l’emplacement historique de la Manufacture. Il lui a donc fallu s’agrandir ailleurs, toujours au Brassus, mais à quelques centaines de mètres de l’emplacement historique. Un nouveau bâtiment a été érigé. Il s’agit du premier bâtiment certifié Minergie en Suisse (label écologique draconien). On y trouve tous les ateliers de reprise des pièces livrées et de finition. Les machines et les personnels y sont nombreux. Petite revue de quelques ateliers.
Nous commençons par une salle dans laquelle sont fabriqués des cadrans guillochés. Un cadran laiton est traité en 50 mn d’usinage. 12 machines sont en fonction et 15 nouvelles en cours de préparation. Ces machines ont environ 50 ans et Audemars Piguet vient de les dénicher aux USA. Une fois ces cadrans terminés, ils sont envoyés chez un sous-traitant qui va travailler sur l’obtention des couleurs obtenues par traitement galvanique. La pose des index se fera aussi chez ce partenaire. Il est à noter que pour des questions stratégiques, Audemars Piguet est entré dans le capital de tous ses fournisseurs et sous-traitants. Cela lui permet de s’assurer un approvisionnement pérenne en cette période de grandes manœuvres stratégiques des grands groupes horlogers.
La visite d’un autre atelier équipé de nombreuses machines ultra-modernes permet d’observer l’empierrage des ponts en laiton rhodié. Reçus directement à la Manufacture, ils sont empierrés et décorés par des machines entièrement automatisées. Un disque abrasif est fixé sur un bras venant en contact avec le pont. Les posages bougent en respectant un angle. Le résultat est une décoration en côtes de Genève circulaires assez impressionnant. D ‘ici deux ans il est prévu de traiter toute la production sans avoir recours aux sous-traitants. Là encore nous pouvons voir la stratégie de la marque qui se destine à contrôler tout son approvisionnement.
Pour le perlage, 2 opératrices actionnent un bras sur les platines qui sont en mouvement automatique après chaque levée du tasseau. Cela demande une certaine dextérité et une sacrée acuité visuelle.
Nous passons ensuite dans un grand atelier où de nombreux employés opèrent sur les ponts et platines. Les anglages sont réalisés à l’extérieur et les pièces « squelettées » sont finies à la Manufacture. Les modules chrono sont assemblés à la Manufacture. Ils viennent de Dubois Depraz. Le Quantième Perpétuel est un module préparé à la Manufacture. Celui qui a assemblé le module va le monter sur la montre.
Visite de l’atelier des Grandes Complications
Les montres à grandes complications, comme nous avons pu le voir supra, sont des pièces totalisant 4 complications horlogères. Cette année, la nouveauté a été de les présenter dans une Royal Oak de 44 mm. Cela représente 648 fournitures dans le mouvement + environ 100 pièces pour l’habillage. Il faut totaliser 7 à 8 mois de travail par 1 seul horloger. Soit 8 pièces par an, l’atelier comptant 4 horlogers. Ces montres seront livrées à trois exemplaires selon 5 modèles.
Les pièces sont reçues brutes dans l’atelier. Ce sont des ébauches. Elles sont entièrement retravaillées une à une. Les pièces de rouage sont sablées plutôt qu’étirées. Par exemple, sur la roue de rattrapante il y a 12 pièces dont 2 vis de 0,35mm pour tenir le piton du spiral. (Cf. Photo avec la même échelle 34). Même ces vis minuscules sont reprises pour donner un poli miroir sur leur tête.
Il existe plusieurs étapes pour réaliser ces montres exceptionnelles. Les pièces et rouages sont dégrossies et préparées pour un 1er montage en blanc. S’ensuit un démontage pour les décorer. Elles sont renvoyées au « nack » (traitement galvanique leur donnant cet aspect assombri). Un second montage en blanc est réalisé jusqu’à l’emboîtage. La montre est re-démontée pour huilage et terminaisons. Le remontage définitif est effectué pour une phase de tests devant durer un mois.
Le mouvement est en maillechort, pour respecter la tradition horlogère. Pour le moment pas une seule n’a été livrée car cadrans et aiguilles sont attendus. Lors des tests auditifs, l’harmonie du son doit permettre 4 à 6 secondes de résonance. Et la répétition minute doit comptabiliser 16 à 17 secondes de restitution de sons. Cette pièce est vendue 660 000€ en titane céramique. Le prix de l’exception !!
Inutile de chercher une de ces pièces exceptionnelles dans la vingtaine de boutiques Audemars Piguet à travers le monde ou dans le réseau de 550 détaillants, elles sont toutes vendues. Cependant je vous encourage à aller découvrir toutes les autres nouveautés de la marque à la boutique de Paris pour rencontrer Yann et ses collaborateurs qui sauront vous réserver un accueil à nul autre égal.
Je remercie Yann, Paul, et tous les acteurs de cette visite qui participent à l’entretien de notre passion pour la belle œuvre.
Thierry Gasquez
Président
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