Sans l’initiative de Charles Vermot, le calibre El Primero appartiendrait à l’histoire. Son action d’insoumission a donné un tout autre destin au premier calibre de chronographe automatique.
Charles Vermot, l’homme qui dit “Non” !
« Rien d’audacieux n’existe sans la désobéissance à des règles. » Des événements donnent régulièrement vie à cette pensée de Jean Cocteau. Dans la longue et passionnante histoire de Zenith, le refus de suivre une directive prend une saveur toute particulière avec la décision prise par Charles Vermot. En 1975, les oscillations du quartz dans les calibres provoquent une secousse sismique dans le paysage horloger. Les mouvements mécaniques à remontage manuel ou automatique ne s’en relèveront pas durant cette décennie. La manufacture acquise par une entreprise américaine spécialisée dans la vente de radio et de télévision en 1971, la Zenith Radio Corporation, subit une orientation stratégique lourde de conséquences. L’équipe dirigeante impose l’arrêt de la production des mouvements El Primero désirant même faire table rase du passé au profit de la quartzomania. Cette décision ne fait pas l’unanimité. Charles Vermot, chef de fabrication des ébauches durant 40 ans, prend alors sa plume et adresse une missive pour exprimer sa position. « Sans être contre le progrès, je constate que le monde est ainsi fait. En ce sens qu’il a toujours des retours en arrière. Vous avez tort de croire en l’arrêt total du chrono mécanique automatique. Aussi, je suis persuadé qu’un jour, votre entreprise pourra bénéficier des lubies et modes que le monde a toujours connus » conclut-il, avec pertinence, sa requête. Sa demande ne rencontra pas l’approbation de la nouvelle équipe dirigeante.
Il faut sauver “el primero” !
L’atelier 4 de la manufacture regorge de trésors accumulés depuis le lancement du projet El Primero dans les années 1960 jusqu’à sa mise en production à partir de 1969. Dans les classeurs, chaque esquisse et chaque annotation constitue autant de sources pour développer le mouvement. Dans cette pièce, plus de 150 étampes mais aussi des cames, des outils de coupe et des plans techniques essentiels à la fabrication du El Primero sont regroupés. Pour Charles Vermot, l’objectif est clair : dissimuler cette tonne d’acier et de papier et la consigner consciencieusement dans les mansardes de la manufacture. Il a la conviction qu’un jour, les mouvements mécaniques seront à nouveau appréciés par les amateurs d’horlogerie. L’opération est alors menée en toute discrétion avec de multiples allers-retours en direction du grenier. Une fois l’ensemble mis à l’abri, l’horloger prend même le parti de condamner la porte des combles.
Charles Vermot sauve Zenith
Le temps aurait pu jouer contre lui et le grenier devenir des oubliettes. Cependant, en 1984, sa clairvoyance est récompensée. Six ans plus tôt, Zenith a changé de main au profit d’un consortium mené par Paul Castella. Celui-ci oriente la production de la manufacture dans une tout autre direction avec un retour aux sources. Ce choix stratégique sonne le retour de la production de montres à mouvement mécanique. Pour Charles Vermot, il est temps d’avouer son stratagème. La production du mythique chronographe est relancée. En 2019, le jubilé du El Primero donne l’occasion de mettre en exergue cet acte de rébellion qui s’est métamorphosé en acte de bravoure.
Dan Diaconu pour Passion Horlogère
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