Après deux semaines de procès nous arrivons aux conclusions et au verdict du Tribunal Judiciaire de Paris. Morceaux choisis de cette dernière audience faisant part du délibéré du Tribunal.
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Julien VINCENT et Florian REBANI sont tous les deux présents dans le box des accusés, car se présentant actuellement en détention. Il sont arrivés souriants, Julien derrière ses lunettes teintées en dégradé, et Florian échangeant avec son avocate. L’ouverture de l’audience a pris du retard, et le Tribunal est plein à craquer. Lorsque le Président ouvre l’audience, il débute, en préliminaire avec la présentation des chefs d’accusation qui ont été retenus ou pas. Concernant les faux documents, il informe que la Bande Organisée n’a pas été retenue au motif qu’il pouvait y avoir des ententes mais pas d’organisation pérenne et pas de hiérarchie. Idem pour ce qui concerne les consultations frauduleuses de fichiers par des policiers corrompus.

En revanche, la Bande Organisée est bien établie pour ce qui concerne le trafic de montres et de bijoux. Ceci parce qu’il y a des fournisseurs en Chine bien identifiés dont un qui a été l’objet d’une perquisition par la Police chinoise. De plus, il y avait en Chine une équipe de préparation des colis, des influenceurs à Dubaï, et un photographe employé en Thaïlande. Et Florian REBANI, en tant que simple maillon de cette Bande Organisée, est lui aussi partie de cette Bande Organisée. Circonstance aggravante qui est donc retenue contre lui aussi.
Information qui a aussi son importance et qui pourrait bien faire Jurisprudence pour de futurs cas similaires, pour le Tribunal, le fait d’avoir assemblé une montre avec des éléments authentiques collectés de parts et d’autres, est aussi considéré comme une contrefaçon. Ceci vise tout particulièrement le cas d’une montre Patek Philippe Nautilus 5711 assemblée par Julien VINCENT avec des composants authentiques qu’il a achetés pour un montant de 40 000 Euro et qu’il a revendue au tarif de 65 000 Euro. Pour le Tribunal c’est tout de même une contrefaçon étant donné que la marque est apposée sur le cadran de la montre vendue.
Enfin, le Président lit l’article 132-1 du Code Pénal que l’on peut résumer ainsi : « Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1. »
Au sujet des peines prononcées
Comme évoqué dans un précédent article, nous ne communiquons les noms des personnes qu’en cas de condamnation à une peine supérieure à 2 ans de prison, selon la déontologie journalistique à laquelle nous adhérons.
- M. Yassine G. comparaissant libre est déclaré coupable et condamné à 2 ans de prison dont 1 an avec sursis. L’année de prison ferme bénéficiant d’un aménagement de peine en Détention à Domicile sous Surveillance Electronique (DDSE) (Sous bracelet électronique – NDLR)
- Mme Séphora OUAHAB comparaissant libre, est déclarée coupable et condamnée à 4 ans de prison dont 2 ans avec sursis.
- M. Kevin P. comparaissant libre, est déclaré coupable et condamné à 18 mois de prisons dont 12 mois avec sursis. Du fait d’une peine précédente, il a un sursis de 3 mois qui est révoqué, ce qui signifie qu’il devra accomplir 9 mois en DDSE.
- M. Karim SOUMALI comparaissant libre, est déclaré coupable et condamné à 4 ans de prison dont 2 ans avec sursis probatoire d’une durée de 3 ans.
- M. Anthony PELLETIER, comparaissant libre est déclaré coupable et condamné à 5 ans de prison dont 44 mois de sursis. Etant donné qu’il a déjà effectué 4 mois de détention préventive, il lui reste à effectuer 12 mois aménageables en DDSE.
- M. Aurélien C. comparaissant libre est déclaré coupable et condamné à 2 ans de prison dont 1 an avec sursis. L’année de prison ferme est aménageable en DDSE.
Pour les sujets qui nous intéressent le plus, sur Passion Horlogère, à savoir les contrefaçons de montres de luxe de la Genèverie et de Prestige Watch Replica, voici les peines prononcées par le Tribunal :
- M. Florian REBANI actuellement en détention provisoire est jugé coupable et condamné à 4 ans de prison ferme. Du fait d’une peine précédente, il a un sursis simple de 8 mois révoqué. Le Tribunal demande son maintien en détention. Il est aussi interdit de gérer une société pendant 10 ans, interdit d’éligibilité pendant 3 ans, et tous ses scellés sont confisqués. Au titre de l’Action Civile, il est condamné à un total d’amendes de 300 000 € (contre 7 Millions requis par le Parquet – NDLR).
- M. Julien VINCENT actuellement en détention provisoire est jugé coupable et condamné à 4 ans et 6 mois de prison ferme avec maintien en détention. Il est aussi interdit de gérer une société pendant 10 ans, interdit d’éligibilité pendant 3 ans, et tous ses scellés sont confisqués. Le Tribunal prononce la saisie de sa villa en Thaïlande, ou le produit de sa vente ou de son réemploi. Il devra publier un communiqué dans la presse papier dans Le Figaro, et dans la Presse digitale pour une durée d’un mois sur le site Magmontres.fr. Au titre de l’Action Civile, il est condamné à un total d’amendes de 208 Millions d’Euro (contre 365 millions requis par le Parquet – NDLR) ventilés comme suit : 206 millions pour les douanes, 1, 87 millions pour Rolex, 50 000 Euro pour Chanel, Audemars Piguet, Patek Philippe, Richard Mille, Omega, 44 000 Euro pour Hublot, et 800 Euro pour Fred.
Aucun des prévenus n’a sourcillé à l’énoncé des verdicts. Ils ont 10 jours pour faire appel de la décision prise par le Tribunal Judiciaire de Paris, tout comme le Ministère Public. Nous avons pu échanger quelques mots avec Maître Marie Violleau à l’issue du Procès qui estime le verdict comme une victoire pour son client car la peine prononcée est en deçà des réquisitions du Parquet. Elle pense que son client ne fera pas appel mais elle ne peut se prononcer définitivement immédiatement.
Que retenir de ce procès ?
La contrefaçon de montres n’était qu’un volet de ce procès. Ce qui nous indique bien que ce type de trafic est lié à de nombreux autres. Aide au séjour irrégulier d’étrangers en France, faux papiers, corruption de fonctionnaires… etc. ont animé les débats dans note cas. Et finalement ce trafic de contrefaçons en Bande Organisée est passé au deuxième plan avec seulement 3 jours d’audience sur 10. Vu les chiffres annoncés en milliers de montres écoulés et en centaines de millions de valeurs, cela peut étonner. Surtout, cela a énormément étonné les amateurs de montres qui ont abondamment commenté nos publications sur les réseaux sociaux. Mais qu’est ce qui peut expliquer ce manque d’intérêt judiciaire pour la contrefaçon ? Pourtant souvenez-vous des campagnes publicitaires des douanes : l’achat d’une contrefaçon peut coûter 300 000 Euro et jusqu’à 3 ans de prison. Or là il a été question d’au moins 12 000 fausses montres. La réponse se trouve dans le réquisitoire du Procureur de la République : « Nous tenons à rappeler que la fraude de Julien VINCENT n’a occasionné qu’un préjudice pour les marques, et pas un trouble à l’ordre public. ».
Une bombe à retardement
Il est vrai que le trouble à l’ordre public n’est pas manifeste au moment du procès. Parmi les Parties Civiles, nous n’avons vu que des représentants des marques contrefaites et l’administration des Douanes. Aucune victime de Julien VINCENT ou de Florian REBANI ! Pas une seule personne ayant acheté une de ces 12 000 montres. Mais où sont donc ces personnes ? Peut-être ne sont-elles pas victimes parce qu’elles ne le savent pas encore. Nous n’évoquons pas les personnes qui ont acheté sciemment une contrefaçon sur Prestige Replica ou sur la Genèverie. Mais nous parlons des personnes qui ont été abusées par les revendeurs de Julien VINCENT. Celles qui ont acheté une montre sur Vinted, Le Bon Coin, ou ailleurs en pensant qu’il s’agit d’une authentique Rolex, Audemars Piguet, Chanel… Pourquoi n’y en a-t-il pas une seule présente ? Il existe deux raisons possibles à cela. La première pourrait être que les enquêteurs n’ont pas poussé l’enquête pour essayer d’en identifier et ainsi les informer de l’escroquerie à laquelle elles ont été victime. Faute de temps, faute de moyens… Ne se sachant pas victime, et ignorant la procédure qui était en cours, personne ne pouvait se manifester. La seconde, évidente, c’est que les montres achetées fonctionnent encore et ne nécessitent pas de passage en SAV. Et, s’agissant à 80 % de contrefaçons de montres Rolex, sachant que la marque ne préconise pas de révision avant 10 ans, personne n’a encore amené sa contrefaçon dans le réseau officiel Rolex pour une révision. Voilà pourquoi cette affaire est une bombe à retardement !
Les doublettes Rolex
Si vous avez suivi ce procès, vous aurez compris ce qu’est appelé une « doublette » en terme d’horlogerie. Il s’agit de montres de contrefaçon de très bonne facture reprenant un numéro de série authentique. Sachant que les doublettes, comme l’ont expliqué Julien VINCENT et Florian REBANI étaient fabriquées en séries. Cela signifie que 200 ou 300 montres au minimum porteraient à chaque fois le même numéro de série. Voici une liste de n° de série qui avait été publiée par Michel Vittini sur le groupe Facebook Club Rolex France et qui recensait des n° de série qui avaient été constatés sur des doublettes par des marchands de montres à qui on les avait proposées. Ces doublettes étaient toutes attribuées à Julien VINCENT d’après les témoignages recueillis :
1:116610LN:S76X4566
2:116610LN:9T7L8523
3:116610LN:41U760Z7
4:116610LN:T4344069
5:116610LN:7L32Y777
6:116610LN:93P4R100
7:126710BLRO: 8K4L635
8:126710BLNR:789G1176
9:116610LN:38ZY7097
10:116610LN:6M8Q24K2
11:116610LN:281Q52K6
12:116610LN:5K822140
13:116610LN:14QR2923
14:116610LN:Y7L27693
15:116610lLN:49F837H3
16:116610LN:0K97L154
17:126710BLNR:J15090Z8
18:116610LN:0H4K9991
19:116610LN:2R20X658
20:116610LN:Q9C82579
21:116610LN:01AW3716
22:116610LN:17R5R725
23:116500LN:45P2R526
24:116500LN:7K21L290
25:116610LN:C98211P9
26:116610LN:6893R122
27:116500LN:2C0079P4
28:116500LN:58C699G0
29: 116610LN:S19V2362
30:116500LN:26D7S2831
31:116500LN:10K90550
32:116610LV:7343U9N5
33:116610LV:8408U9N5
34:116500LN:416886R6 (black)
35:116610LV:1786U9N5
36:116500LN:802601J2
37:116610lv:1254U9N5
38:126610LN:9KX12779
Il existe 38 n° de série dans cette liste non exhaustive. Si à chaque n° on attribue le minimum d’une série de 200 doublettes, on arrive au chiffre de 7 600 doublettes. Sachant que les doublettes ont été les montres les moins écoulées par les faussaires, cela nous renvoie à nous poser la question des 12 000 montres évoquées. Certaines sources parlent de beaucoup plus. Beaucoup beaucoup plus. Il est des personnes assez bien informées qui parlent d’un minimum de 55 000 montres et des dizaines de millions de chiffre d’affaire. Le préjudice prend donc une ampleur bien plus importante à la lecture de ces chiffres qui donnent le vertige.
Comment lutter contre les effets à venir de ces contrefaçons de montres ?
Aujourd’hui, et surtout demain, va se poser le problème des conséquences de toutes ces montres sur le marché. Et c’est à ce moment-là qu’apparaîtra sans doute le fameux « trouble à l’ordre public » qui n’existait pas, selon le Ministère Public, au moment du Procès. Et là nous avons une pensée émue pour les victimes, mais aussi pour nos amis horlogers qui vont devoir gérer ces soucis en face à face avec les possesseurs abusés. Les dépôts de plaintes vont pleuvoir. Les coups de gueule vont être légion. Et il est fort à parier que des scandales, voire des heurts, apparaissent ça et là dans les salons feutrés de nos détaillants horlogers préférés. Pour éviter cela et pour venir en aide à ces pauvres horlogers qui vont devoir être les annonceurs de mauvaise nouvelle, il est important de mettre en place des procédures parfaitement organisées et surtout légales. Hors de question de demander aux horlogers de saisir la montre contrefaisante. Ceci serait illégal. Car, en France, seule une autorité judiciaire, un OPJ, ou un agent des douanes peut prononcer une saisie. Aucun horloger, tout certain fut-il du caractère contrefaisant d’une montre devant lui, ne peut en déposséder son propriétaire sans que cela ne soit considéré comme un vol manifeste. Il faut donc que les marques confrontées à cette bombe à retardement anticipent ces problèmes à venir.
Qu’existe-t-il aujourd’hui comme solutions ?
Aujourd’hui nous sommes encore bien démunis pour éviter les contrefaçons de montres de luxe. Il existe bien des initiatives, mais elles sont isolées. Du côté des marques, nous avons par exemples Awake ou Carl F. Bucherer qui ont intégré des systèmes électroniques ou holographiques qui permettent de distinguer leurs montres si elles sont authentiques et de les intégrer dans une blockchain. Mais ne nous voilons pas la face, ces marques ne sont pas les plus concernées par le problème de la contrefaçon.
La véritable question, ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, est de savoir ce que Rolex nous propose pour lutter contre la contrefaçon. Et bien Rolex a déjà commencé à apporter des solutions. Outre la haute qualité de ses produits très difficile à imiter, il existe la mise en place depuis le 1er décembre 2022 du RCPO est un début de réponse au fléau de la contrefaçon. Car quoi de mieux pour éviter d’acheter une fausse que d’acheter une véritable Rolex ? Evidemment, soit on l’achète neuve si on arrive à patienter sur une de ces célèbres listes chez les détaillants, soit on l’achète d’occasion dans le réseau Rolex Certified Pre-Owned. Dans ce réseau, toutes les montres passent entre les mains d’horlogers qualifiés de Rolex pour bénéficier du label RCPO.
Bien évidemment, si on ne veut pas passer par ces solutions, il existe toujours la possibilité d’acheter sa montre chez un marchand professionnel qui a une réputation qui le précède. Dans le groupe Facebook Club Rolex France nous avons très régulièrement des retours très positifs concernant Michel Vittini. Et à ce titre nous n’hésitons pas à le mettre en avant de manière tout à fait indépendante. Les gens sérieux méritent que l’on parle d’eux !
Quelle autre solution pour un avenir plus sûr ?
Il est une information non officielle qui nous a été communiquée faisant état que le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de l’Economie et des Finances se seraient saisis, depuis quelques années déjà, du sujet « Montres de Luxe ». Une solution serait à l’étude pour pouvoir répondre à trois problèmes. Un problème fiscal résultant de la spéculation horlogère avec les énormes plus-values engrangées et non déclarées, le problème de vols de montres de plus en plus fréquents et violents, et le problème de contrefaçons. Pour y répondre, les services de l’Etat étudieraient l’obligation de traçabilité et d’accompagnement d’un titre de propriété avec les montres, bijoux, et autres objets de luxe. Cela pourrait être imposé à ce type de marchandises à partir d’un seuil de valeur qu’il y aurait à définir. Ce faisant, chaque montre de luxe serait accompagnée d’une sorte de « carte grise » qui la suivrait toute sa vie durant et surtout qui permettrait la tenue d’un fichier, le suivi de tout changement de propriétaire, et bien entendu, des rentrées fiscales. La France, inventrice de la TVA en 1954, serait encore une fois à la pointe de la créativité fiscale. Il est fort à parier que si les marques ne réagissent pas avec un système universel, le législateur va se saisir du dossier et leur imposera sans hésitation.
Cette affaire Prestige Watch Replica et La Genèverie n’a pas fini d’entraîner des répliques, tel un tremblement de terre dont tous les acteurs n’ont a priori pas encore pris l’entière mesure. Au-delà du « simple » trafic de montres de contrefaçons, ce sont des enjeux considérables pour le monde du luxe qui pointent leur nez. Souhaitons que les principaux acteurs de ce secteur, suisses, français, ou internationaux sachent réagir, et qu’ils soient soutenus par les institutionnels tels que le Comité Colbert, la Fédération de l’Industrie Horlogère Suisse (FH), ou encore le Comité Francéclat.
Bonjour,
La marque Omega n’est jamais citée…
Zéro impact de contrefaçon sur Omega?
Merci pour votre réponse. Cordialement.