En ce jeudi 14 mars 2024, nouveau jour d’audience autour du sujet des contrefaçons de montres, nous apprenons que Julien V. ne sera pas présent. Il a prétexté une rage de dents et a refusé de quitter sa cellule. Ce qui en dit long sur sa défiance du Tribunal… En revanche, Florian R. est bien présent lui. Et la majorité des débats va le concerner, lui et son réseau appelé « La Genèverie » (contraction de Genève et d’horlogerie – NDLR).
Pour lire la partie 5
Florian Mohamed Noël R. tel qu’il a été nommé à sa naissance en 1998, s’est longuement raconté dans sa deuxième audition. Fils d’une maman malade et d’un papa violent, il a été ballotté depuis sa plus tendre enfance au gré des séparations du couple entre Bastia, Avignon, la Bretagne et le sud-ouest. Il est titulaire d’un Bac Pro Commerce obtenu à Carpentras et a suivi des études de droit. Il rêvait d’être avocat. Il a un caractère volontaire et se passionne pour tout ce qu’il touche. Il a rêvé d’être marin en passant avant cela un CAP Matelot, puis avocat, comme évoqué supra, et finalement il s’est pris de passion pour l’horlogerie. C’est suite à un grave accident de moto survenu en 2019 qu’il a profité du temps de l’alitement pour créer sa boutique virtuelle sur Telegram qu’il nommera « La Genèverie ».
Aujourd’hui Florian R. est en détention provisoire, en attendant l’issue du procès. Seule sa mère lui rend visite. Il a une petite amie mais ne peut pas avoir de parloir avec elle car, dit-il, il n’a pas de liens assez étroits avec elle. Ils sont mariés religieusement, mais cela n’est pas considéré par l’administration pénitentiaire. Aussi, il devait sortir de prison en fin d’année dernière, mais un appel du Parquet a empêché cela. Aujourd’hui, il occupe ses journées avec tout ce à quoi il peut s’inscrire : du yoga, de l’anglais, il court pour le Téléthon, il œuvre pour la Croix Rouge, il a gagné un concours d’éloquence, et il suit même une formation de peintre en bâtiment. Il est ce qu’on appelle un détenu exemplaire. Sauf que…
Florian R. a été pris à continuer à œuvrer sur la Genèverie depuis le fond de sa cellule. Et le Président du Tribunal de dire : « Quelle peine faudra-t-il pour que vous arrêtiez ? ». Car Florian R. a déjà été condamné en février 2019 pour avoir vendu de faux iphones d’avril à septembre 2018.
Pour l’affaire qui nous intéresse, celle de la Genèverie à travers laquelle il vendait, entre autres choses, de fausses Rolex, il a été interpellé le 21 juin 2022, chez sa mère, à Landerneau, en Bretagne. Il occupait cette maison alors que sa mère et son beau-père étaient en vacances en camping. Détail qui a son importance, vous le comprendrez dans les lignes qui vont suivre. Le Service d’Enquêtes Judiciaire des Finances (SEJF) et deux autres offices centraux de Police ont procédé à son arrestation. Et le Président du Tribunal Judiciaire de Paris de détailler cette arrestation pour bien définir la personnalité de Florian R.
« À 9h30 les enquêteurs du SEJF se sont rendus au domicile de la mère de Florian R. Le devant de la maison est ceint d’une véranda. S’agissant d’une interpellation sans risque identifié, les enquêteurs tapent à la véranda et s’annoncent. Quand Florian R. sort et se trouve face à eux, lui dans la véranda, eux dehors, il simule un malaise. Au bout de quelques secondes il se relève, et se rue dans la maison pour se saisir d’un couteau de cuisine et pour menacer de se trancher la gorge s’ils essaient de rentrer dans la maison. Il prend son téléphone et menace de le faire en direct sur les réseaux sociaux. Les enquêteurs réagissent bien en se retirant et en faisant appel au GIGN qui dépêche ses négociateurs. Florian R. finira par se rendre à 12h50. »
Florian R. de s’expliquer : « Pendant tout ce temps j’ai détruit mes téléphones, j’ai essayé de dissimuler des preuves, et j’ai caché 24 000 €. Mais ils ont été retrouvés (dans la cuvette des toilettes – NDLR). Mais les policiers n’ont pas respecté mes droits. Il n’y a eu aucun appel de la Police à mon avocat. D’ailleurs on a porté plainte pour ça. » Son avocate qui le défend au Tribunal, Maître Marie Violleau, déclare ne pas être au courant. « C’était un précédent confrère » dit-elle au Tribunal.
Le Président du Tribunal projette sur l’écran les photos d’un Mac Book brûlé dans un four et d’un iphone brûlé dans une casserole. Et d’autres photos montrent des liasses de billets cachées dans les toilettes et… une Rolex Surmariner qui sort du réservoir des toilettes. « Beh ouais, comme c’est étanche… » dit Florian R. en souriant. Des rires se font entendre dans le Tribunal. On sent une ambiance plus légère que lors de la précédente audience où l’énervement de Julien V. avait électrisé les débats. Là, Florian coopère, fait de l’humour, et laisse percevoir une riche et attachante personnalité.
Et le Président, rappelant les antécédents de Florian R. de répéter : « Que faut-il faire pour que vous arrêtiez ? » « Monsieur le Président, j’ai toujours travaillé à côté. Je n’ai jamais été un délinquant à temps complet. Quand j’étais alité, j’ai créé la Genèverie parce que j’aime l’horlogerie. C’est parti du cœur et ça a été à la tête. Mais quand je vais sortir, je peux vous assurer que je vais rester dans ce domaine. Je ne vais pas tout balancer à la poubelle. Aujourd’hui je sais monter et démonter une montre, j’aime les montres. Je peux en manger matin, midi et soir ! » répond Florian R, entre autres déclarations qu’il fera au cours d’un long monologue.
Florian R. déclare avoir vendu 10 montres / mois à compter d’octobre 2020. Les fameuses doublettes de Rolex Daytona il a commencé à en parler en octobre 2020 mais les a commercialisées à partir de janvier 2021. De janvier 2021 à juin 2022 il déclare avoir fait un bénéfice net de 200 000 €. Sur ces sommes 25 000 € ont été saisis lors de la perquisition, il a mis 60 000 € dans son coupé Mercedes, 32 000 € ont été saisis sur ses comptes bancaires, une autre Mercedes, une A35 AMG achetée 40 000 € a été saisie par la Police, et 2 kgs de composants Rolex qu’il dit authentiques ont été saisis. Sachant qu’il achetait des mouvements complets pour 5 000 € pièce. À cela il ajoute les 21 000 € qui sont cachés dans la presse pneumatique qui se trouve dans les scellés. Il déclare ainsi que tout l’argent qu’il a gagné de la vente des 100 montres qu’il a commercialisées lui a été saisi. On le sent déjà dans la « négociation » de la peine en évoquant un « solde de tous comptes ». Et pour le fait d’avoir été pincé en Détention Provisoire, il explique cela par le fait qu’il n’avait plus d’argent. Il a continué essentiellement à vendre des cartes d’identité et 4 ou 5 consultations de fichiers Police parce qu’il avait de la demande sur la Genèverie.
C’est au tour des parties Civiles de réagir. L’avocat représentant Rolex prend la parole. « Vous avez déclaré vendre 10 montres / mois à 200 € de bénéfice par montre mais en même temps on peut calculer que vous avez gagné 10 000 € par mois. » « Non, c’est une moyenne 10 000 € par mois. Car il y a eu les bijoux et les doublettes. C’était le gros de mes revenus. Les doublettes étaient achetées 800 € et revendues 1 300 €. ». « Sur le Bon Coin on voit que vous avez vendu 4 montres autour de 13 500 €. » renchérit l’avocat. « Non, ce n’est pas moi. » réplique Florian R. Un Procès Verbal du SEJF en date du 4 mai 2022 est projeté à l’écran. On y voit une Rolex Submariner vendue 15 600 €, annonçant avoir été achetée à Barcelone. « Mais ça c’est une vraie montre qui a été vendue à un dépôt / vente de Montfavet, vous confondez tout. » dit Florian R. à l’avocat de Rolex. « 950 grammes de pièces Rolex que vous déclarez authentiques ont été retrouvées chez vous. Que comptiez-vous en faire ? » demande l’avocat. « Je les ai achetées à Zurich à des employés de Rolex. Je voulais assembler une vraie montre pour la vendre. » prétend Florian R. L’avocat de Hublot et Fred de demander : « La Genèverie est une marque déposée ? » « Bientôt » répond Florian R. avec un large sourire relayé par des rires du Tribunal.
Madame le Procureur de la République prend alors la parole. « Merci Monsieur R. d’arriver à ce stade de reconnaissance des éléments que nous vous présentons. Cela salue le travail des enquêteurs qui a été remarquable, et nous allons gagner du temps. Vous avez fait des études de droit, qu’est ce qui vous intéresse dans le droit ? ». « C’était une démarche sincère. Je pensais que je pourrais être avocat. » répond Florian R.
« Cependant une clé avec de la cryptomonnaie dessus n’a pas été trouvée. Et c’est pour cela que la maison de votre mère a été placée sous scellés, afin de revenir y faire des investigations. Et cela montre la double personnalité de Monsieur R. Mesdames et Messieurs du Tribunal. Monsieur Florian R. a préféré laisser sa mère et son beau-père dormir dans un camping pendant 10 jours plutôt que de coopérer à retrouver cette clé. Et lorsqu’on lit l’audition de son beau-père, on y apprend que Florian R. passait ses journées sur le canapé à pianoter sur son téléphone et qu’il ne participait en rien à la vie de la maison. Tout juste a-t-il payé une fois le restaurant à sa mère, dans une pizzeria. Pour quelqu’un qui gagnait 10 000 € par mois, ça le rend immédiatement moins sympathique. » informe le Procureur. « Vous avez déclaré que vous aviez viré 250 000 € sur des comptes au Maroc, mais après investigations, nous n’avons rien trouvé. Nous sommes donc convaincus qu’il y a de l’argent quelque part. » de rajouter.
« J’ai acheté des bitcoins à 3 000 Euro et j’ai fait 60 000 Euro de bénéfice. Avec cet argent j’ai acheté une maison au Maroc. » répond Florian R.
L’avocat de la défense, Maître Marie Violleau, prend la parole. « Votre beau-père dit qu’à un moment vous vouliez vous lancer dans l’horlogerie ? », s’adressant à Florian R. « J’étais passionné. Je voulais créer une société d’achat / vente de montres. » lui répond-il. « Vous avez un point de repère depuis 15 ans, c’est Sandy. Qui est-ce ? ». demande à nouveau l’avocate. « C’est mon ex femme. Nous sommes restés 7 / 8 ans ensemble. Le point final ça a été la perquisition des Douanes chez elle. Ses parents n’ont pas voulu qu’on se revoie. On s’est remis ensemble, mais ensuite avec la détention et la distance, on s’est quittés. » « Qui côtoyez-vous en détention ? ». « Que des sportifs. Je suis le seul à y être pour de la contrefaçon. Il y a des tueurs, des braqueurs, des violents. Du coup moi je fais mon sport et je rentre en cellule. ». « Quel est votre lien avec votre père ? Florian Mohamed Noël, c’est bien votre nom ? ». « Oui c’est ça. Mon père est un voyou, un mec violent. Enfant, il nous battait, et il battait ma mère. On est partis car la veille je m’étais interposé entre eux et j’ai pris une caisse à outils dans la tête. J’ai eu un traumatisme crânien et ça a été le déclic pour ma mère pour partir. J’avais 10 ans. ». « Qu’allez-vous faire en sortant ? ». « Je vais aller dans les montres. Je ne veux pas laisser tomber tout ça. Et j’irai le faire dans le sud de la France. Avant ça j’irai aider ma mère et mon beau-père dans leur société, mais je veux aller dans les montres… ».
Dans notre prochain article nous verrons la découverte de la surprise faite à Florian R. au Tribunal, et nous prendrons connaissance des plaidoiries des avocats des Parties Civile, à savoir ce que demandent les marques ayant subi des préjudices.
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