La réplique de la montre n°160 dite « Marie-Antoinette » était de retour à Paris pour quelques jours. Et “Alex” un lecteur de Passion Horlogère nous a proposé ce récit au sujet de sa visite au sein du Musée de la marque, place Vendôme. Récit !
Il y a quelques semaines, un vent de mystère flottait sur la Place Vendôme. La montre n°160 dite Marie-Antoinette était de retour à Paris pour quelques jours au sein de la boutique / musée Breguet.
Cette montre, réplique du modèle original, recréé à la demande de Nicolas Hayek à partir de 2004 et véritable chef d’œuvre du savoir faire des horlogers de la Manufacture créée en 1775, porte en elle bien des secrets.
Nous avions le plaisir d’être conviés par la maison Breguet à découvrir cette pièce admirable au sein de son musée écrin parisien en présence de Monsieur Emmanuel Breguet, descendant du fondateur de la manufacture et historien.
Un peu d’histoire avec un petit retour en arrière.
La maison du Quai de l’Horloge, réputée pour ses montres à grandes complications a toujours compté parmi ses clients des hommes et femmes célèbres et plus particulièrement la cour du Roi de France (le duc d’Orléans, Louis XVI, Marie-Antoinette…).
Nous sommes en 1783, un mystérieux admirateur de la reine Marie-Antoinette passe commande auprès d’Abraham-Louis Breguet d’une montre qui doit répondre à un cahier des charges multiple : la montre doit contenir le plus de complications possibles, concentrer toutes les connaissances des horlogers de l’époque et enfin, l’or devra être utilisé au maximum. Aucune limitation quant à son budget ni dans sa durée de réalisation.
Mais une question demeure : qui est ce mystérieux admirateur de Marie-Antoinette, disposant d’autant de moyens pour passer commande d’une montre extraordinaire et au tarif exceptionnel ?
Un garde royal ? impossible !
Hans-Axel de Fersen, l’amant présumé de Marie-Antoinette ? Peu plausible ! Il semblerait qu’il ne disposait pas des moyens financiers pour acquérir une telle pièce !
Louis XVI ? Peu probable, la conjoncture de l’époque et d’une certaine façon le risque lié à un tel achat pouvant dégrader une image du couple royal déjà écornée !
Marie-Antoinette, pour l’offrir en cadeau à son époux qui vouait une véritable passion pour l’horlogerie ? Peu probable, pour les mêmes raisons que précédemment.
Et si cette commande était à l’initiative d’un commanditaire souhaitant déstabiliser la couronne ? Sans tomber dans la théorie du complot, nous sommes en 1783, des conspirations touchent la famille royale et Marie-Antoinette cristallise une haine profonde.
L’Autrichienne, comme certain la surnomme ou encore Madame Déficit, est accusée de dilapider le trésor royal, de vivre une vie de débauche et de plaisirs entre Trianon et la ferme où elle s’imagine une vie de bergère.
Ceci n’est pas sans rappeler l’affaire du collier de la reine, cette escroquerie qui s’est déroulée de 1784 à 1786 et qui a fortement porté préjudice par la suite à Marie-Antoinette.
Nous n’aurons malheureusement jamais de réponses à ces questions. La montre comportera toujours en elle cette part de mystère qui la rend si particulière et fascinante.
Qui soit-il en 1783, le commanditaire de cette montre avait laissé à Breguet toute latitude sur la durée de son élaboration. Quelle erreur de ne pas fixer d’échéance à un maitre horloger !
Elle ne fut terminée qu’en 1827, soit 44 ans après sa commande, 34 ans après la mort de la reine et 4 ans après la mort d’Abraham-Louis Breguet.
Ceci nous fait relativiser les délais que nous connaissons actuellement sur certains modèles…
La montre a ensuite trouvé un acquéreur, puis est revenu au sein des ateliers Breguet pour révision. L’acquéreur, décédé sans successeur, n’est jamais venu la rechercher et la montre a ensuite été acquise par divers collectionneurs anglais dont le plus connu reste Sir David Lionel Salomons (1851-1925), scientifique, avocat et grand collectionneur de montres et plus particulièrement de Breguet dont le fameux modèle Duc de Praslin.
A sa mort, c’est sa fille Vera (1888-1969) qui héritera de la montre, et en fera don ainsi qu’une autre partie de la collection horlogère de son père, au musée d’art islamique de Jérusalem.
C’est au sein de ce musée que la montre sera dérobée dans la nuit du 15 avril 1983 ainsi que 40 précieuses pièces horlogères, dont au moins trois Breguet. La montre ne réapparaitra qu’en 2007.
Mais revenons en 2004, et plus particulièrement au sein du bureau biennois de Nicolas Hayek alors Président du Swatch Group et propriétaire du groupe horloger Breguet depuis 1999.
Nicolas Hayek met au défi les horlogers de Breguet de recréer à l’identique la montre Marie-Antoinette, mais cette fois-ci sous contrainte de temps et de moyens.
En l’absence d’archives et d’images de la montre originale, c’est un véritable challenge pour les équipes de Breguet. Les maîtres-horlogers de Breguet mettront quatre ans pour recréer la montre (et les outils nécessaires à son élaboration).
La réplique de la montre n°160 sera présentée au public lors du salon de Bâle en avril 2008.
La montre présentée et identique à l’originale présente les spécificités suivantes (sources Breguet) : « Montre perpétuelle à répétition minutes sonnant à volonté les heures, les quarts et les minutes… Un quantième perpétuel complet affiche la date, le jour et le mois respectivement à deux, six et huit heures. L’équation du temps à dix heures annonce la différence quotidienne entre le temps solaire et le temps civil. Au centre, les heures sautantes et les minutes accueillent une grande seconde indépendante, ancêtre du chronographe, tandis que la petite seconde s’affiche à six heures. L’indicateur de réserve de marche de 48 heures côtoie un thermomètre bimétallique ».
« Le mouvement à remontage automatique, dit perpétuel, intègre 823 composants aux finitions exceptionnelles. Les platines, les ponts, le moindre mobile de rouage de la minuterie, du quantième et de la répétition sont façonnés en or rose poli au bois. Les vis sont en acier bleui et poli ; les points de friction, trous et paliers sertis de saphirs. Le savant mécanisme se dote en outre d’un modèle particulier d’échappement à levées naturelles, d’un spiral cylindrique en or et d’un balancier bimétallique. Un dispositif antichoc à double “pare-chute” vient protéger l’axe du balancier et les arbres de la masse de remontage contre les coups et les secousses ».
Plus proche d’une œuvre d’art que d’une montre, la Marie-Antoinette est la synthèse du talent de tous les horlogers de la Maison Breguet.
Un écrin sur-mesure pour la montre de la démesure
Détails de l’écrin réalisé dans le chêne de Versailles : les parties extérieures de l’écrin reproduisent un parquet dit « Versailles ». A l’intérieur de l’écrin un magnifique travail de marqueterie reproduit une partie du tableau d’Elisabeth Vigée Le Brun « Marie-Antoinette à la rose ».
Un tel chef d’œuvre devait revêtir un écrin digne de son rang. Nous sommes au milieu des années 2000, l’épouse de Nicolas Hayek visionne un reportage sur Versailles et plus particulièrement sur le chêne de Marie-Antoinette, tombé quelques années auparavant.
L’épouse de Nicolas Hayek en parle à son époux et ce dernier mandate dès le lendemain des émissaires Breguet pour se rendre à Versailles. Emmanuel Breguet faisait partie de cette délégation.
Pour rappel, le parc de Versailles a été lourdement touché par la tempête de décembre 1999. De nombreux arbres sont au sol, libérant de l’espace et n’offrant plus l’ombre nécessaire au bien-être des arbres centenaires restés debout dans le parc de Versailles.
A l’été 2003, une canicule touche la France. Le chêne, à l’ombre duquel Marie-Antoinette aimait se reposer, meurt en raison des fortes chaleurs et de l’impact de la précédente tempête.
Le domaine de Versailles souhaite vendre le bois issu de ce chêne afin de financer les travaux nécessaires à l’entretien des jardins et du parc.
Nicolas Hayek souhaite l’acquérir pour confectionner un écrin digne de ce nom à son chef d’œuvre reconstitué.
Pour l’obtenir, le Swatch Group financera la rénovation du Petit Trianon et Nicolas Hayek recevra dans le cadre de son action la médaille de grand Mécène.
Une médaille qui était en or, elle aussi, et une reconnaissance pour Nicolas Hayek forte de sens.
Alex, pour Passion Horlogère
Très bel article qui nous fait voyager dans le temps.