Laurent Ferrier est un homme discret, horloger d’exception ayant passé presque 40 ans de sa vie au sein de la Manufacture Patek Philippe. Découvrez comment à trois ans de la retraite, cet homme de défis a crée sa propre marque. Comment la passion et l’amitié ont guidé cet homme… Portrait.
Bonjour Laurent Ferrier, comment allez vous ?
Et bien écoutez, ça va bien ! On est ravi de se trouver au SIHH pour la 3ème année, pour nous qui sommes relativement jeunes dans le métier, puisque notre première pièce est sortie en 2010. Alors, nous sommes très fiers d’avoir été acceptés il y a trois ans dans le premier carré des horlogers et nous sommes ravis de nous y trouver encore cette année.
Sachez que nous sommes ravis aussi de vous y rencontrer. Monsieur Ferrier, pouvez-vous nous raconter l’histoire de votre marque ?
Alors, l’histoire est drôle… Moi, je suis horloger de formation, mon père était horloger, mes grands-pères étaient horlogers, mes arrières grands-pères aussi. Donc nous étions vraiment toute une famille d’horlogers et dès la fin de l’école d’horlogerie, je suis rentré chez Patek Philippe. J’y ai travaillé 37 ans, donc j’ai fait vraiment toute ma carrière là-bas. Ma deuxième passion était la course automobile. En 1979, nous avions eu l’occasion de finir 3ème des 24 heures du Mans et j’avais offert une Patek Philippe Nautilus à mon co-équipier qui était un industriel Français et un ami.
Et quand on se voyait, il me disait toujours : « Laurent, tout le monde me dit que Patek Philippe est la plus belle marque du monde mais qu’il est tellement difficile de pouvoir s’en procurer une. Un jour on va en faire, on va monter une marque nous-mêmes… ». Voilà, on se racontait ça comme quand on va en vacances en Corse et qu’on se dit qu’on va ouvrir un restaurant de plage. Ce n’était pas un espoir, on avait mis ça complètement de côté dans nos cerveaux… et il y a quelques années, François Servanin, qui est le principal actionnaire de la société actuellement, vient me trouver et me dit : « Ecoute Laurent, c’est le tout dernier moment, est-ce qu’on la fait cette montre ou est-ce qu’on ne la fait pas ? ». J’étais à trois ans de la retraite, donc ça paraissait un peu fou. Mais j’ai un fils qui était lui-même constructeur de mouvements chez Roger Dubuis, donc je me suis dit que c’était le bon moment. Et comme François Servanin n’était ni un amateur vraiment d’horlogerie, ni un collectionneur, il m’a dit : « Tu fais absolument ce que tu veux ! ». Et du coup, comme c’est une chose à laquelle un horloger ne résiste pas en règle générale, et on a eu l’occasion de faire le premier tourbillon qui était une belle pièce.
C’est une pièce d’ailleurs qui a été primée !
Alors la première année (la pièce est sortie en 2010) on est allé à la foire de Bâle, où on a eu déjà quelques contacts très intéressants. Et puis on a fait un dîner de collectionneurs aux Etats-Unis et un des collectionneurs nous a demandé si on était inscrits au grand prix d’horlogerie (GPHG ndlr). Mais on n’était pas inscrit au grand prix puisque la pièce me paraissait trop classique pour être susceptible d’avoir une chance de gagner. Un de ces collectionneurs faisait partie du jury et nous a dit que cette pièce a quelque chose de tout à fait intéressant et que les gens attendent actuellement des pièces qui soient dans cette catégorie-là de pièces intemporelles, classiques. On s’est inscrits ! C’est même lui qui nous a inscrits car c’était le tout dernier moment. Et on a gagné le grand prix la première année, ce qui était un atout assez important vis-à-vis des clients potentiels. Ça nous a donné un coup de sérieux qui était intéressant.
Donc c’était quelque chose qui était le bienvenu d’un point de vue commercial mais qui en même temps a pu aussi vous motiver vraiment à continuer puis à pérenniser cette marque !?
Alors voilà, là aussi quand on a lancé la marque, on n’avait pas de business plan sur cinq ans en disant qu’il faut qu’on fasse un chronographe dans trois ans, une répétition dans huit ans… C’était vraiment : « on fait une pièce et puis on regarde s’il y a de l’intérêt ! ». Et s’il n’y a pas d’intérêt, et bien on rentrera dans nos foyers tranquillement… Et puis du coup, comme il y a eu un intérêt et que c’était vraiment très très agréable, l’accueil était super, on a pu continuer à évoluer tranquillement.
Monsieur Ferrier, aujourd’hui, que portez-vous au poignet ?
Je porte le tout premier tourbillon, c’est vraiment le proto numéro 1, qui marche toujours très très bien. Et c’est une pièce que j’aime beaucoup, qui est très belle, qui est en acier. Je la porte tout le temps, je la teste dans mon jardin et tout va bien. Enfin je ne coupe pas du bois avec !
Quelle est pour vous, votre plus belle réussite horlogère ?
C’est celle qu’on va faire dans deux ans, je pense ! Il y a une chose qui me fait très plaisir, c’est que chaque modèle qu’on a réalisé, me plait. Donc quand on a fait le mouvement micro-rotor, qui était le deuxième mouvement qu’on a réalisé, c’est devenu pareil. Il fallait faire un modèle un peu plus accessible que le tourbillon et on a fait un mouvement avec un échappement naturel de Breguet qui était un échappement particulier, qui était difficile à mettre au point, mais l’idée de base était excellente. Et là aussi ce mouvement marche maintenant très bien. On est toujours dans la même catégorie. Donc voilà, je pense que comme chez Ferrari, chaque nouvelle Ferrari est plus belle que celle d’avant mais quand on regarde l’ancienne on la trouve belle aussi.
D’ailleurs votre réponse était la même réponse que donnait Enzo Ferrari quand on lui demandait quelle était sa Ferrari préférée. C’était la suivante.
Mais c’est vrai quand on a envie de construire quelque chose c’est toujours le cas. Même les architectes doivent sûrement se dire que la prochaine villa qu’ils construisent est certainement la plus belle qu’ils n’aient jamais faite.
Est-ce que vous avez une complication horlogère de prédilection ou favorite ?
Alors, l’idée n’est pas d’avoir des trop grandes complications. Je suis admiratif évidemment des grandes complications. L’ennui c’est que plus on met des complications, plus la pièce est malgré tout difficile à faire fonctionner. Normalement, en général les très grandes complications finissent dans un coffre. Elles ne fonctionnent pas tout le temps. Et même un quantième perpétuel, même avec une phase de lune, si vous avez des amis qui en ont une, les trois quarts du temps si vous regardez la lune, elle n’est pas à l’heure parce qu’ils n’ont pas eu le temps de la régler. Donc l’idée est de faire des pièces qui soient agréables, lisibles, agréables à porter. Et l’idée de notre tourbillon était de faire un tourbillon pour que la pièce soit un peu plus précise que les autres. Mais pas pour le plaisir de la complication.
La fonction prime donc ?
La fonction prime, voilà.
Est-ce que vous avez d’autres passions que l’horlogerie dans la vie?
Je dirai qu’à mon âge, ça fait déjà beaucoup de passions ! L’horlogerie me prend beaucoup de temps. Je ne suis pas un grand voyageur, je le dis très honnêtement…, malheureusement je ne suis pas un grand voyageur… Pour le moment je me contente de l’horlogerie, et je reste toujours passionné d’automobile.
Est-ce qu’une voiture vous a marqué dans votre vie ? Quelle est la voiture de vos rêves ?
La voiture qui m’a certainement marquée c’est la Porsche 911. Il y a 40 ans, je crois, que la toute première que j’ai eue était une Porsche 912. C’était le plus petit modèle de toutes les 911, au niveau de la ligne. Et puis après j’ai eu une ou deux 911. Ceux sont des voitures fantastiques, qui fonctionnent magnifiquement bien, qui ont un bruit terrible… c’est vraiment une voiture de sport qui est absolument géniale.
Monsieur Ferrier, comment définiriez vous le luxe ?
Alors le luxe ça pourrait être la beauté discrète. Il est difficile de définir le luxe. Il peut y avoir quelque chose qui n’a pas obligatoirement une valeur folle mais qui peut-être un objet tout à fait luxueux je pense.
Est-ce qu’aujourd’hui il y a une marque, qu’elle soit horlogère ou autre, qui incarne le luxe selon vous ?
Des grandes marques comme Hermès, Vuitton, sont clairement, des marques de luxe. Ils sont capables de vous faire un porte-clés de luxe et une montre de luxe. Maintenant est-ce que c’est ça tout à fait le luxe ? Peut-être pas. Le luxe ça peut aussi être de faire ce qu’on a envie de faire et de pouvoir se l’offrir sans être immensément riche.
Est-ce que ça ne serait pas une notion un petit peu variable ?
Certainement. Le luxe ça pourrait être aussi d’être à la montagne et de manger un formage avec un super morceau de pain et un verre de vin rouge. Ça peut faire partie du luxe.
Monsieur Ferrier, est-ce qu’il y a un personnage historique ou contemporain qui vous a inspiré dans votre vie ? Et qui peut continuer à vous inspirer aujourd’hui ?
Est-ce que mon père m’a inspiré ? Certainement, parce qu’il avait son atelier dans le même immeuble. On habitait au quatrième étage et il avait son atelier au premier. Donc certainement il a dû inconsciemment m’inspirer. Pour être honnête je ne lui démontais pas les montres qu’il avait dans son atelier, j’avais plutôt tendance à faire des maquettes de petites voitures en plastique, plutôt que démonter les montres de mon père. Mais certainement il a dû m’inspirer à apprécier en tout cas ce genre de choses.
Monsieur Ferrier, dans vos relations avec les autres, souvent, on entend dire que vous êtes quelqu’un de très ouvert, de très compréhensif avec les personnes. Quelles sont les qualités que vous appréciez chez les autres ?
Les qualités, c’est de partager honnêtement. Donc effectivement je pense que c’est primordial. Si vous parlez honnêtement avec n’importe qui, c’est toujours très agréable. Alors après c’est vrai qu’il y a des gens qui sont extrêmement passionnants, intéressants et agréables. Il y a des gens fantastiques et il y en a d’autres qui le sont un peu moins mais ça c’est normal, ça fait partie de la vie.
Monsieur Ferrier, question essentielle, quelle heure est-il ?
Ha ha… 12h05 !
Merci Monsieur Ferrier.
C’est moi qui vous remercie.
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