6 juin 2013 : un OVNI débarque sur les Côtes de Genève ! C’est en effet ce jour que Vianney Halter dévoile enfin au monde horloger sa dernière création, la Deep Space. Entretien exclusif.
Passion Horlogère avait cependant eu dès le 7 mai la primeur d’une rencontre à Paris avec le Maestro, sous l’égide d’Ekaterina Sotnikova et de sa Galerie EKSO Watches. L’occasion d’une interview inoubliable à la découverte de cette montre et de son histoire.
Vianney, chacun de vos modèles emblématiques puise son inspiration dans un glorieux passé horloger. C’est le cas en particulier de l’Antiqua et de la Classic Janvier.
Il faut même plutôt parler de filiation et d’hommage ! Mon Antiqua (1998) puise ses références à cet instrument de précision et de navigation si important pour les explorations maritimes qu’a été à son époque le Chronomètre de Marine. Il était possible depuis des siècles de faire le point sur la latitude grâce à la famille des sextants. Mais la mesure de la longitude a longtemps posé souci aux pilotes. C’est finalement l’amélioration de la précision des outils horlogers qui a permis un saut qualitatif majeur : une fois le chronomètre de bord du bateau réglé sur l’heure du port d’attache, il suffisait une fois au large de mesurer l’heure solaire corrigée et de calculer l’écart par rapport à l’heure de référence fournie en continu par le chronomètre pour en déduire le nombre de méridiens d’écart… et donc au final la position sur le globe terrestre ! L’idée générale de l’Antiqua vient en droite ligne des études et horloges de marine réalisées par Ferdinand Berthoud (1727 – 1807). Si beaucoup y ont vu également un clin d’œil aux œuvres de Jules Verne, j’en suis très heureux car j’adore l’auteur des Voyages Extraordinaires et ses formidables anticipations !
Puis en 2007, vous avez rendu un hommage appuyé à une autre figure de l’horlogerie avec la Classic Janvier n°1.
Antide Janvier a en effet créé de merveilleuses horloges astronomiques dans lesquelles les évolutions apparentes de la Lune et du Soleil sont visualisées de manière originale : les phases de lune mais aussi l’écart entre heure solaire vraie et heure de référence sont ainsi interprétables dans ma montre-hommage à la façon classique de Janvier ! Encore une fois d’ailleurs cette notion de référentiel pour notre petite Terre qui nous est chère…
Mais depuis cette dernière création, nous avions été frustrés de nouveau modèle signé Vianney Halter ! Que s’est-il passé ?
Difficile à expliquer sans entrer de façon trop intime dans les détours psychologiques de mon univers personnel … mais je vais essayer car l’histoire est belle ! A partir de 2008 et donc peu de temps après la sortie de la Classic Janvier n°1 qui représentait pour moi un nouvel achèvement, le monde horloger a connu une crise qui a suscité indirectement une remise en question de mon investissement en temps et en énergie. Sans cesser de rester au contact de mon équipe, j’ai pris progressivement de la distance avec l’effervescence bouillonnante qui m’avait toujours animé. Jusqu’à fin 2010 où, moi qui dormais très peu et ne comptais pas mes heures à l’atelier auparavant, j’ai pris un nouveau rythme de vie qui a d’ailleurs un peu inquiété mon entourage ! Je restais ainsi chez moi à dormir pour l’essentiel, parfois jusqu’à 15 heures par jour… Mais aussi à lire ou relire énormément, par exemple des grands classiques de la Science-Fiction, comme la série des « Dune ». Je me suis également replongé dans l’Univers de Star Trek grâce aux coffrets de DVD dont je pouvais enchaîner les épisodes sur grand écran à volonté ! Et qu’est-ce que c’était bien !
Pardon, mais n’était-ce pas en fait une sorte de dépression quand même ?
C’est plutôt quelque chose dont j’avais besoin, une sorte de ressourcement. En tous cas moi je vivais ça sans angoisse, à lire, à m’immerger dans ces mondes parallèles et ces explorations – non pas maritimes pour le coup mais galactiques – de planète en planète à la découverte d’autres espèces de mondes et de leurs habitants. Et à dormir, rêver, revivre ces aventures et leurs personnages. J’ai alors découvert qu’une sorte de suite avait été donnée à Star Trek : la série « Deep Space Nine », 7 saisons et près de 180 épisodes ! Un nouvel univers à découvrir, construit dans et autour d’une immense station spatiale où les différentes populations de l’Espace se côtoient, se rencontrent et se découvrent mutuellement.
D’accord, mais comment le lien s’est-il fait avec votre nouvelle création ?
J’y arrive ! A force d’être plongé en permanence dans les aventures de Deep Space Nine, y compris dans mes rêves, j’ai fini par y devenir en quelque sorte l’un des personnages récurrents de la série, en même temps observateur et acteur. Je me voyais ainsi comme un habitant de la Terre à la découverte d’autres peuples de l’Univers, exposé à chaque rencontre à l’obligation d’expliquer d’où je venais et comment était ma planète d’origine. Or, quoi de plus concret finalement pour cela que d’expliquer à mes interlocuteurs notre propre référentiel terrestre basé sur les 3 dimensions physiques de volume et la dimension du temps (x,y,z,t) ? Mon personnage utilisait à cet effet un artefact, un gadget qui je portais toujours avec moi ou sur moi de manière à illustrer visuellement ma démonstration. Et un beau jour, bien éveillé cette fois, je me suis simplement dit que ce modèle réduit des 4 dimensions terrestres, de mon référentiel, je pouvais très bien le réaliser, lui donner vie dans notre monde réel. Un tourbillon, voilà ce qui s’est imposé naturellement à mon esprit pour cristalliser le rêve à travers mes compétences d’horloger !
Votre nouvelle création, la Deep Space, serait donc un gadget tombé de l’univers virtuel de Deep Space Nine sur notre planète Terre, c’est bien cela ?
Parfaitement ! C’est la meilleure représentation pour moi de ce que je pourrais emmener partout dans l’Espace pour expliquer à des amis d’autres mondes comment nous voyons les choses sur notre bonne vieille Terre ! Ce serait aussi le prolongement de nos chronomètres de marine pour nos expéditions interplanétaires : un « chronomètre spatial » en quelque sorte.
Incroyable et onirique … Mais j’imagine que, de l’idée à la montre, il s’est écoulé encore un certain temps de conception et de réalisation ?
Pas tant que ça finalement : mon équipe s’est attelée à la réalisation début 2012 et le grand tourbillon lui-même était fonctionnel en octobre, ce qui nous a permis de vérifier sa fiabilité. Nous avons ensuite ajouté le cadran pour les indications horaires en décembre puis les finitions. On peut donc dire que la phase de concrétisation de l’idée a duré un an.
Une question toutefois : nous avons suivi votre conférence justement sur le concept de « Tourbillon » au Salon Belles Montres 2012 et vous y aviez indiqué qu’aujourd’hui le tourbillon n’est plus selon vous, s’il l’a été un jour, gage de plus grande précision. N’y a-t-il pas là une petite contradiction, alors que la Deep Space était déjà en fonctionnement à l’atelier dans le plus grand secret au moment même où vous teniez ces propos ?
Souvenez-vous que j’avais aussi expliqué à cette occasion que pour moi le tourbillon reste un symbole de l’art du maître-horloger et un remarquable objet de miniaturisation comme de plaisir visuel ! L’idée de l’utiliser dans ma nouvelle pièce ne vise nullement la précision absolue mais simplement à magnifier le tourbillon en en faisant l’essentiel de la montre, juste enfermé dans son boîtier pour être protégé et porté au poignet. C’est le concept des 3 axes de l’espace tournant sur eux-mêmes au fil du temps que je veux donner à la contemplation comme un Référentiel embarqué. Bien sûr, comme je connais mon métier et qu’il serait inconcevable que je crée une montre qui ne donne pas l’heure correctement, elle est suffisamment précise dans sa construction pour qu’il n’y ait aucun doute sur sa fiabilité comme outil de mesure du temps, mais ce n’était pas l’objectif premier. D’ailleurs, les indications d’heure et de minute n’étaient de mon point de vue pas absolument indispensables.
Justement, parlons un peu technique maintenant. Quelles sont les caractéristiques de ce tourbillon « géant » ?
C’est évidemment un mouvement à triple révolution dans le temps autour des 3 axes qui symbolisent pour moi nos 3 dimensions physiques. La cage centrale fait un tour sur elle-même en 40 secondes, volontairement sans indication directe de lecture des secondes. La rotation de la traverse principale sur elle-même prend 6 minutes. Et le berceau qui porte l’ensemble fait un tour de cadran en 30 minutes. Le module d’échappement (balancier, ancre, spiral) est réalisé par la société Precision Engineering AG qui fait partie du Groupe Moser basé à Schaffhausen et dont la réputation de fiabilité n’est plus à démontrer. J’y ai cependant mis ma touche personnelle sur la courbe Breguet et le réglage du balancier se fait juste au moyen des vis pour ne pas alourdir l’ensemble avec un système de raquette. Traditionnellement, Moser réalise ses mouvements sur la base de 18 000 alternances. Mais je me suis vite rendu compte que l’ensemble ne tournait pas assez vite pour profiter pleinement de la dynamique du référentiel et j’ai demandé aux ingénieurs de m’en produire un spécial à 21 600 alternances. Ce mouvement est à remontage manuel, à double barillet bien sûr pour fournir assez d’énergie à l’ensemble des rotations et sa réserve de marche est d’environ 55 heures.
L’impression visuelle est tout simplement incroyable et l’on a bien du mal à détacher le regard de ce ballet. Je viens de mettre la montre au poignet sur son bracelet de cuir : elle n’est absolument pas massive et passe sous ma manche de chemise malgré son globe de saphir protecteur. Mais elle est aussi très légère !
Le boîtier est en effet en titane, métal que l’on retrouve dans le grand tourbillon lui-même en particulier sur la traverse mais aussi sur le disque interne dont nous avons conservé la couleur bleu ciel de sortie de cuisson. D’autres éléments sont en acier et quelques pièces en tungstène. Le cadran actuel devrait évoluer à terme pour se rapprocher plus de celui de la Classic Janvier. La forme des attaches est-elle inspirée de l’Antiqua. Je vous laisse découvrir les clins d’œil à la station Deep Space Nine sur les décors !
Et comment fonctionnent les indications horaires sur le cadran ?
Rien de plus classique pour le coup : le curseur simple indique les minutes sautantes et le curseur double indique les heures au cadencement de la minute. J’ajoute que le fond est plein et que je me ferai une joie d’y graver sur chaque exemplaire ma signature ou quelques mots de mon choix qui en feront une pièce unique.
Vianney, merci infiniment pour l’échange passionnant autour de cette montre exceptionnelle, votre toute nouvelle création. Et merci aussi à Ekaterina pour nous avoir permis la primeur de cette découverte. La Deep Space sera d’ailleurs prochainement visible à Paris sur rendez-vous à la Galerie EKSO Watches, et accessible au tarif de 187 000 CHF.
Equipe Passion Horlogère : Luc J., Laurent A. et Thierry G. – Photos de la Deep Space issues du dossier de presse / Guy Lucas de Peslouan
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