Il y a tout juste 1 an, Jaquet Droz réunissait quelques invités dans ses ateliers de La Chaux-de-Fonds pour une présentation de l’exposition Automates & Merveilles.
A cette occasion, lors de la conférence de presse j’avais pu apostropher Marc Hayek, Président de Montres Jaquet Droz SA, sur l’éventualité de la création d’une montre-bracelet animée d’automates. Ce dernier, par un sourire énigmatique et complice avait laissé supposer que ce projet était en cours de développement.
Aujourd’hui Jaquet Droz présente sa dernière nouveauté. Mieux qu’une montre-bracelet équipée d’une complication, ses concepteurs lui ont adjoint des automates et ce qui était considéré jusqu’alors comme étant la plus belles des complications : une répétition minute.
La marque a respecté l’esprit de Pierre Jaquet Droz en perpétuant le lien qu’il avait créé au 18e siècle avec la faune ornithologique. Les oiseaux présents à cette époque dans ses pendules de table, ses tabatières, ou ses montres de poche pourront se retrouver aujourd’hui au poignet des 8 heureux propriétaires de cette incroyable Bird Repeater dans chacune des versions produites. La version or rouge présentée aujourd’hui s’adjoindra au tarif proportionnel à cette exclusivité artistique de 415 300 €. La version en or gris à la lunette sertie de pierres précieuses devrait quant à elle dépasser le demi-million d’€.
L’ensemble de cette montre crée une harmonie visuelle hors du commun. Le cadran est une véritable œuvre d’art à lui seul réunissant les métiers d’art de peintre sur cadran et de graveur, et désormais de créateur d’automates fonctionnant avec des cames telles qu’il en existait au 18e siècle.
Le principe est celui utilisé dans l’automate l’écrivain en l’ayant miniaturisé et disposé à l’horizontale.
Cette prouesse technique et artistique n’a été possible que grâce à une maîtrise en interne de ces métiers. Ce projet tenait déjà à cœur à Nicolas G. Hayek lorsqu’il a acquis la marque Jaquet Droz. Marc Hayek a repris le flambeau de la plus belle des manières en reprenant l’héritage Jaquet Droz et en le perpétuant jusqu’à créer cette magnifique Bird Repeater qui va partir dès le mois prochain pour un road show à travers le monde. Pour information et avis aux amateurs, elle devrait être présente à Paris, à la boutique Jaquet Droz du 8 rue de la paix, dans le courant du premier trimestre 2013.
Le secret de ce projet avait été bien gardé concernant les détails de cette montre, malgré les doutes que nous pouvions avoir. Seuls quelques privilégiés avaient pu glaner quelques informations lors du dernier Baselworld. Il se dit que Jaquet Droz devrait pousser un peu plus loin la thématique des oiseaux pour la clore à Bâle 2013. A la vue du résultat d’aujourd’hui, les amateurs d’horlogerie exceptionnelle auront hâte de découvrir ce qui les attend.
En attendant, bravo aux artistes qui s’emploient à préserver et à promouvoir cette belle marque renaissante, qui se distingue ainsi du reste de la production horlogère. Ne serait-on pas en train d’assister aux prémices d’un nouvel âge d’or pour Jaquet Droz ?
L’œuvre mécanique de Pierre Jaquet-Droz a été articulée autour de deux thématiques majeures : les automates et les oiseaux. Si les androïdes présentés lors d’Automates & Merveilles sont les plus connus, la majorité de ceux produits par Jaquet-Droz à cette époque furent des automates mettant en scène de superbes oiseaux, arborant parfois des plumes naturelles et souvent siffleurs.
Les oiseaux furent donc le fil rouge des démonstrations d’automates de Pierre Jaquet-Droz dans les cours des rois d’Europe. Ces montres ou ces automates mettant en scène des oiseaux, furent également le principal produit d’exportation de Pierre Jaquet-Droz vers la Chine, déjà. Ce fut un précurseur à tous points de vue : technique, commercial, marketing.
Aujourd’hui, Jaquet-Droz présente une montre majeure dans la nouvelle histoire de la marque, une synthèse de son glorieux passé, autant du point de vue technique, que du point de vue de la mise en scène.
En dehors du très factuel problème de portabilité, il y a le problème de légitimité. La culture horlogère Romande est l’inverse du démonstratif. Patek Philippe en est l’ultime exemple : entre les tourbillons à cadrans totalement fermés ou la collection Henry Graves, les grandes complications n’ont jamais été emboîtées avec autant (trop ?) de discrétion.
La problématique interne de Jaquet-Droz est à l’opposé. Les esthétiques font l’unanimité auprès de la blogosphère, mais une marque se doit de produire plus qu’une esthétique si elle veut devenir une grande enseigne de haut de gamme…
Par exemple, A. Lange & Söhne a atteint son rythme de croisière avec le Datograph.
Cette complication à oiseaux chanteurs correspond donc à une étape cruciale, tant dans l’histoire contemporaine de Jaquet-Droz, que dans la saga des montres démonstratives.
Cette scénographie d’automates n’a nécessité que trente mois de développement, ce qui est peu, vu la complexité du projet. Les collaborateurs de Jaquet-Droz étaient impatients de démontrer leur savoir-faire dans les complications à automates et la cadranerie complexe.
Pour sortir de l’ornière des montres d’excès, il fallait créer une pièce belle, portable et faisant sens. Avec cette « Bird Repeater », on aboutit donc à la convergence des démonstrations.
Pour les horlophiles, l’histoire est un facteur essentiel. Comme vous l’avez peut-être lu dans le sujet sur Automates & Merveilles, Pierre Jaquet Droz faisait la démonstration de son art dans les Cours des grands d’Europe. Les Androïdes auraient pu être vendus maintes fois et à des prix astronomiques, tant ils représentaient le pinacle de la technologie du XVIIIème siècle. Pierre Jaquet Droz s’y est pourtant toujours refusé. En bon « businessman », il a inauguré le concept moderne des « talking pieces ».
Cette montre est donc l’avatar le plus légitime des premières talking pieces. Pourquoi ?
La montre fait 47mm sur 18 (avec le verre bombé), ce qui, pour se faire une idée, correspond à peu près aux dimensions d’une Panerai. La ressemblance s’arrête là. Avant de revenir sur le boitier et son métal, attardons-nous sur le point d’orgue de cette pièce, son cadran qui révolutionne la tridimensionnalité en horlogerie.
Jusqu’à présent, en horlogerie la 3D était axée autour de deux tendances lourdes : des pièces au look ultramoderne voire Cyberpunk et des montres comportant des détails tridimensionnels fixes ou des parties mobiles liées à l’affichage de l’heure ou à l’échappement.
La révolution apportée par ces Oiseaux à Répétition est que d’une part l’esthétique est à conjuguer au plus que vintage et que d’autre part ces automates ne sont que très marginalement liés à l’affichage de l’heure ; en effet, les mésanges bleues fonctionnent de concert avec la répétition minute et sont alimentés par le ressort de complication de cette dernière.
La répétition s’actionne de manière classique, par la targette latérale ; mais l’armage, en plus de déclencher la répétition, anime aussi les oiseaux dans un ballet impressionnant.
Ces derniers représentent des mésanges au magnifique plumage bleu et jaune. La scène représentée sur le cadran se déroule devant le Saut du Doubs, une cascade de 27 mètres située sur la frontière Franco-Suisse. Le Doubs est un cours d’eau mythique qui traverse les anciennes régions manufacturières du Jura français et les toujours actives contrées horlogères de la Confédération Helvétique.
Huit animations vont se succéder lors de la répétition :
1) La chute du Saut du Doubs, qui fait office d’indicateur de marche (alimenté par le barillet principal).
2-3) Le mâle va déployer ses ailes et bouger la tête.
4) La femelle va donner un ver aux oisillons.
5-6) Les deux oisillons vont bouger indépendamment.
7-8) Enfin, l’animation la plus magique : l’œuf va éclore et laisser sortir un oisillon.
Cette dernière est la plus merveilleuse et la plus surprenante, car de prime abord il est pratiquement impossible de voir que l’œuf présente une ouverture … Et cette éclosion donne vie… A l’ensemble !
Il y a l’image, mais il y a aussi le son : ça sonne et ça sonne même fort, le double timbre dit « cathédrale », mis au point par Christophe Claret sur un pointage Breguet, fait des merveilles. Le mouvement d’environ 12,5 lignes pour 8,80mm d’épaisseur est cadencé à 18000 a/h pour 48h de Réserve de Marche.
J’avais peur que cette répétition à automate ne tombe dans le travers habituel de ce genre de complication : un chef d’œuvre mécanique totalement entravé par une animation minuscule et un son à peine audible.
Avec cette « Bird Repeater » il n’en est rien, elle soutient la théâtralisation attendue. L’un des travers des comédiens apprentis, est de parler d’une voix inaudible : d’une voix de gorge au lieu d’une voix de ventre. Ils ne « soutiennent » pas assez. Ces oiseaux auraient fait de parfaits jeunes premiers dans un cours de théâtre. Ils soutiennent à la hauteur du prix de la complication. On en a pour ses 450k chf. Même avec plusieurs convives et un bruit de fond, tout le monde entendra la pièce sonner !
Initialement, on pouvait craindre que l’or ne soit un obstacle à la bonne diffusion du son. Contrairement à une légende, il n’en est rien. Effectivement, l’or pur transmet très mal le son car il l’isole de manière trop efficace ; de ce point de vue, le fer ou le titane sont meilleurs que l’or pur. Mais lorsqu’on parle d’alliages, l’acier est moins bon que l’or 18 carats (soit 750/1000 de la masse en or). Car on oublie trop souvent que dans le 18 carats, l’or n’occupe « que » 60% du volume, le reste étant composé de métaux moins denses, donc plus volumineux : argent, palladium et cuivre.
Le cuivre en particulier a des propriétés intéressantes pour les mélomanes, comme en attestent les cloches en bronze.
Toujours dans cette logique de théâtralisation, la montre est fournie avec un résonateur en bois de la vallée. Cet accessoire et le magnifique écrin vous plongent dans la peau de Pierre Jaquet Droz en tournée auprès des Cours d’Europe. Vous allez devenir un ambassadeur à part entière de la marque auprès de votre Cour d’amis.
Cette « Bird Repeater » est donc plus qu’un moyen de faire exister la marque, c’est une nouvelle façon de créer une communauté de fans, où l’heureux propriétaire de cette pièce a les moyens « clé en main » de partager sa passion avec ses amis, de manière ultra démonstrative. Pas besoin d’assommer vos convives sous la technique ou les subtilités esthétiques, le plus profane peut comprendre l’évidente prouesse que représente ce ballet d’automates.
C’est sans doute la force principale de cette pièce, elle est suffisamment ludique et théâtrale pour s’adresser à des publics à priori irréconciliables, du collectionneur chevronné à la personne qui n’a jamais possédé de montre. Tout le monde peut s’approprier cette magie suivant son niveau de culture horlogère. Ici, la technique et l’esthétique n’existent pas pour elles-mêmes. Elles soutiennent totalement une scénographie à la portée de tous.
L’autre caractéristique assez unique pour une montre si compliquée et si démonstrative, c’est qu’elle reste très portable au quotidien. Sans pour autant être particulièrement discrète, la boite est bien conçue et le poids suffisamment contenu pour qu’elle ne devienne pas une attraction à votre insu. Le design du boitier est très classique (et efficace) et la montre est imposante sans être trop grosse.
Ce qui surprend beaucoup, c’est la gigantesque ouverture du cadran, qui occupe presque entièrement les 47mm du boitier. Heureusement, le cadran n’est pas blanc, il comporte de multiples niveaux de finitions (réalisées en or et en nacre de Polynésie) qui occupent bien l’espace.
Visuellement, il y a cinq parties principales : le sous-cadran de l’heure en onyx noir, le nid en or, le fond représentant le Saut du Doubs et les deux mésanges ; afin de respecter au mieux la thématique, ces dernières sont de couleur bleue comme le fond, ce qui est presque dommage car elles manquent de contraste. Avec des couleurs plus tranchées (oiseaux bleus, fond orange…), les animations auraient eu encore plus d’impact.
Ce que le cadran perd en contraste, il le gagne en réalisme : tout est reproduit avec une fidélité digne d’un biologiste, car même la barque que l’on peut apercevoir à trois heures, est la réplique d’une barque existante.
Cette volonté de reproduction de la nature est bien sûr une forme d’hommage à l’art de la fin du XVIIIème et à la manière dont les gens de l’époque représentaient leur environnement. Leurs travaux étaient principalement figuratifs, la photographie n’ayant pas encore sonné le glas de ce style…
Cette « Bird Repeater » est donc un grand pas dans l’histoire de la nouvelle manufacture Jaquet-Droz, mais c’est aussi un pas, certes plus modeste, dans l’histoire de l’horlogerie.
C’est la première fois qu’une maison signe une pièce parvenant à concilier de manière cohérente, des éléments que l’on pensait irrémédiablement incompatibles….
Par Malik Bahri. Watchonista.
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