Avec enfin un tirage favorable à une des fameuses loteries organisées par Maximilian Büsser pour pouvoir acquérir une “M.A.D.1”, seule montre “accessible” imprégnée de l’ADN créatif fou typique de MB&F, l’occasion était trop belle de reprendre des nouvelles de cette marque si spéciale. Oui, je dis bien reprendre des nouvelles depuis notre dernière visite il y a de cela 12 ans, à l’époque où cette marque était composée d’une dizaine de personnes qui s’afféraient dans un appartement genevois en guise de locaux pour donner vie aux premières Horological Machines.
12 ans, une éternité aux yeux de ces irréductibles dont la créativité n’a fait qu’aller crescendo. Terminé l’appartement genevois, MB&F a d’ailleurs déménagé 2 fois depuis pour accompagner la croissance de son activité et de son effectif. Désormais, fini les locaux sans charme en centre ville, MB&F et Maximilian Büsser, son fondateur, sont fiers de travailler dans un lieu remarquable, dénommé M.A.D.House, enfin à la hauteur de l’exclusivité des produits proposés.
Cet écrin de caractère, situé à Carouge, en banlieue genevoise, jadis maison bourgeoise d’une famille d’industriels, les Coppier-Defer, a tapé dans l’œil de Max Busser en 2020 alors qu’il visitait des bureaux voisins vastes mais sans âme. Malgré l’importance des travaux nécessaires à la réfection totale de cette maison d’architecture de 1907, une deuxième visite a confirmé tout le potentiel de ce qui allait bientôt abriter la croissance et l’émancipation créative de MB&F.
Nous sommes fin 2022, MB&F investit enfin cette demeure centenaire, officiellement protégée par le Patrimoine Suisse, et désormais apte à accueillir la quarantaine de friends de son équipe. Une nouvelle aventure commence.
Nous voilà à l’aube de 2024, et je retrouve Charris Yadigaroglou, responsable Marketing et Communication, qui nous accueille chaleureusement sur le perron de la M.A.D.House. Le lieu est impressionnant, majestueux, mi maison, mi château, mi chalet (ça fait 3 “mi”, je sais). Une sculpture éolienne mobile de l’artiste cinétique Anthony Howe donne le ton sur l’environnement extérieur, mais aussi intérieur que l’on va découvrir, fait de tradition architecturale et d’œuvres avant-gardistes.
Le hall d’entrée, faisant office de réception, oppose la modernité du mobilier à la chaleur des panneaux en bois muraux et des carreaux de céramiques peints à la main. De part et d’autre du bureau de réception sont disposées des œuvres visibles dans les différents M.A.D.Gallery et MB&F LABs à travers le monde, comme cette vasque murale en céramique bleue turquoise aux mille reflets ou encore cette structure cinétique aux pétales métalliques, dénommée Cosmobloom des artistes Heyl & Van Dam. Goldorak est bien sûr présent, le robot aux asterohaches cher à Max Busser est disséminé sous de multiples formes en ces murs, nous le verrons.
Face à la réception se trouve également un petit cabinet dit point de rencontre, surplombé par une magnifique MEDUSA, horloge “méduse” réalisée conjointement par MB&F et la maison L’Epée 1839.
Laissons le rez-de-chaussée pour le moment et suivons Arnaud Légeret, Manager en communication, qui sera notre guide lors de cette visite. La cage d’escalier est déjà un motif d’émerveillement, entre les sublimes gravures des poteaux de rampes, l’horloge de Jean Kazès, dont c’est la dernière réalisation du haut de ses 93 ans, ou encore les illustrations du dessinateur Maxime Schertenleib.
Ces planches de BD géantes en noir et blanc, inspirées de la science fiction des années 60, parcourent les murs de la cage d’escalier et dissimulent quelques “Easter Eggs”, hommages cachés de l’univers MB&F.
Au premier étage, où se trouvaient les chambres familiales, sont installés les services Marketing, Logistique et Commercial, autour d’un couloir agrémenté d’une bibliothèque devant laquelle on ne peut que s’attarder.
Au milieu de beaux ouvrages horlogers ou encore de design, se trouvent d’incroyables objets d’art (Horloge Starfleet Machine par L’Epée 1839 x MB&F / MusicMachines par Reuge x MB&F) ou insolites (la machine à calculer ou le mesureur de tour de tête pour chapelier).
Il est difficile de détourner son regard de cette collection, sauf pour contempler l’incroyable sculpture murale lumineuse aux ailes d’insecte des artistes ukrainiens Smith & Winken.
Prenons une pause pour situer un peu nos hôtes avec quelques chiffres :
MB&F, début 2024, cela représente :
- 54 personnes
- 47 personnes à la M.A.D.House
- 5 personnes dans un atelier voisin, appelé M.A.D.Factory et doté de machines d’usinage.
- 2 Managers dédiés à la M.A.D.Gallery
- plus de 20 calibres spécifiques conçus depuis la création de la marque en 2005 (avec plus de 300 composants en moyenne par calibre)
- 80% des boitiers réalisés en interne (100% concernant la famille Legacy Machines)
- entre 20 et 30% des composants restants fabriqués en interne
Les autres composants ou opérations spécifiques, sont confiées à des entreprises “Friends” externes dignes de confiance de MB&F. Le service logistique, dans ce contexte, tient une place importante, car il permet de gérer et suivre chaque composant lors de ses multiples allers-retours entre chaque opération spécifique externalisée (usinage/revêtement/finition…) et chaque contrôle dimensionnel/qualité qui suit, toujours effectué en interne.
L’occasion est donc parfaite pour observer certaines pièces ayant “échoué” à ces contrôles sans pitié. Des ponts, aiguilles, cadrans, balanciers, mâchoires (oui, les mâchoires “réserve de marche” de la HM10 Bulldog, bienvenue chez MB&F!), sont exposés.
Inutile de dire que le niveau d’exigence est très élevé et qu’il faut avoir la loupe bien accrochée à l’œil pour y déceler les quelques défauts.
Au deuxième étage, où se trouvaient les chambres de bonnes et d’invités, un passage par le bureau que Serge Kriknoff, associé et directeur technique de MB&F partage avec Max Busser, nous permet de découvrir plusieurs choses insolites.
Derrière le bureau de ce dernier, outre l’inévitable batte de baseball cloutée aux papillons blancs déjà présente il y a 12 ans, et l’iconique fusée de Tintin, on trouve entre autres une auto Messerschmitt KR, un robot L’Epée 1839 x MB&F Melchior, un long board et quelques livres de design et d’art.
Mais le plus intéressant dans cette pièce se trouve à coup sûr punaisé sur le tableau en liège juste en face.
Sur ces feuilles se confrontent des croquis sommaires mais visionnaires de Max Busser auxquels répondent les esquisses en perspective du designer Eric Giroud. On y reconnaît les prémisses de la HM10. Ces “sketches”, qui viennent ainsi matérialiser avec formes et proportions le concept initial de “montre canine”, donneront naissance via imprimante 3D à un prototype à l’échelle 1 qui, s’il est validé dans sa forme, servira de données d’entrée aux “constructeurs”.
Ces constructeurs sont à la fois concepteurs, architectes, horlogers et modélisateurs du calibre qui se logera dans ce petit volume pour l’instant en plastique. L’exemple nous est donné ici avec le cas de la HM11 Architect, dernière création folle de MB&F, librement inspirée des maisons issues de la mouvance architecturale expérimentale des années 60, toutes en courbes organiques. Max Busser s’est inspiré de ces maisons pour en créer une montre, rien de moins que cela.
Le prototype 3D en plastique à l’échelle 1:1 de cette boite de HM11, déposé dans ma main par le constructeur Thomas Lorenzato, devra ainsi contenir un calibre spécifique, régulé par un tourbillon volant, apte à fournir les indications d’heures/minutes, de réserve de marche et de température (oui, il y a un thermomètre dans une maison!), au travers de 4 fenêtres latérales. Voilà le niveau d’informations et de détails dont les constructeurs peuvent parfois disposer pour modéliser en CAO (Conception Assistée par Ordinateur) le calibre et le boîtier dans lequel ce premier viendra se loger.
Thomas fait tourner sous mes yeux ébahis la maquette numérique 3D du mécanisme de la HM11, tout en affichant des vues en coupe permettant de distinguer les composants internes. La rigidité de l’ensemble pourra être vérifiée ou optimisée par calculs de structure pour simuler les éventuels chocs qui pourraient être subis par la carrure. Une fois la modélisation terminée, l’étape suivante sera de réaliser les plans dimensionnels de chaque pièce, mais aussi les plans spécifiant chaque étape de finition/garnissage/revêtement que ces pièces vont subir.
Une courte étape en salle de conférence histoire de contempler les prestigieux trophées fièrement obtenus par MB&F (Aiguille d’Or du GPHG, Red Dot Design Award, etc…), l’heure est venue de redescendre au rez-de-chaussée pour enfin se rapprocher de l’objet final et de ceux qui le concrétisent, à savoir les horlogers.
À cet étage, dans le grand salon, se côtoient les métiers de :
- Méthodes, définissant le “comment va-t-on fabriquer la montre”
- Prototypage permettant de juger d’un point de vue réaliste les faisabilité/fonctionnalité/assemblage de la montre en devenir. Les premiers exemplaires proto fonctionnels vont voir le jour ici, et permettront de découvrir les points d’optimisation ultérieure.
Sur un des établis sur mesure sont exposés quelques pièces permettant de comprendre la chronologie des opérations d’usinage nécessaires pour obtenir ici, un pont de balancier de Legacy Machine (qui nécessite à lui seul 5h de polissage manuel, soit dit en passant) ou là, des carrures de HM8 Mark2, HM11 Architect ou LM Sequential Evo.
Dans le salon voisin se déroulent les activités de collage des glaces saphir via joints spéciaux, de Service Après Vente, de garnissage des platines et de contrôle final, le tout supervisé par le chef horloger Didier Dumas, déjà présent il y a 12 ans.
Par ici transitent notamment toutes les Machines en circulation devant revenir pour révision ou encore réparation, un stock conséquent de pièces détachées en sous sol étant dédié à cet effet. Les devoirs de l’horloger Anthony Moreno prennent ce jour-là la forme de plusieurs LM101, d’une LM Perpetual et d’un sublime calibre de HM9, qui ont retrouvé à coup sûr toute leur jeunesse depuis.
Enfin, nous pénétrons dans la pièce la plus magique de la M.A.D.House, celle où toutes les Horological et Legacy Machines sont assemblées et prennent vie.
Dans ce vaste salon, abondamment baigné de lumière naturelle, règne une ambiance calme et légèrement détendue, en ce vendredi après-midi, ce qui nous permet d’échanger avec les 4 détenteurs et la détentrice du savoir horloger sur place. En ce sanctuaire, chaque horloger(e) a les compétences pour assembler n’importe quelle Machine, mais il ou elle doit obligatoirement terminer la pièce commencée avant de basculer sur une nouvelle.
Sur leurs établis se trouve le fruit de leur minutie et de leur concentration : une LM Sequential Evo et une sublime LM101 d’un violet hypnotique en cours d’assemblage, et une autre LM101, bleu ciel celle-ci, mais dénuée de tout cadran ou aiguille, en cours de contrôle chronométrique. Juste le moteur sur le châssis, en somme, mais la précision est déjà bonne!
Chez MB&F, l’activité d’assemblage est hautement prioritaire, ainsi tous les autres corps de métiers en ses murs se mobilisent au quotidien pour que les horlogers travaillent en toute fluidité et ne manquent de rien.
Au détour de mes observations, je remarque une belle Navitimer au poignet d’un jeune horloger (l’habitude de regarder les poignets des gens, on ne se refait pas), et lui confie que j’essaye d’apprendre à me servir de la règle à calcul sur celle héritée de mon papa.
Et le voilà qui m’explique non seulement que lui sait s’en servir, que c’est un cadeau familial pour ses 18 ans, mais surtout que c’est l’un de ses aïeux, travaillant chez Breitling jadis, qui a implanté le concept de règle à calcul circulaire sur cette montre mythique. Incroyable et cocasse histoire d’héritage!
Cette visite se termine par un passage au service contrôle qualité. Ici, à l’aide entre autres de machines programmables dédiées, accompagnées de jauges calibrées, il est possible de contrôler esthétiquement et dimensionnellement les multiples composants à partir des plans de références établis 2 étages au dessus.
Une platine du chronographe LM Sequential Evo, du haut de ses 144 perçages et lamages, nécessite pas moins de 400 contrôles dimensionnels et géométriques.
De retour dans le hall d’entrée, après avoir pu appréhendé toute l’étendue des métiers et savoir-faire abrités par cette statutaire bâtisse, il reste pourtant une étape capitale à ce périple. Nous rejoignons alors Charris qui attend, une boite à la main, pour enfin me remettre en mains propres la M.A.D.1 Green tant attendue, celle qui me permet modestement d’accéder à cette Horlogerie Indépendante qui me fait tant rêver, avec en plus de l’ADN MB&F à l’intérieur.
L’occasion de photographier cette nouvelle venue avec la M.A.D.1 de Charris, bleue, plus rare car réservée aux Friends (fournisseurs et contributeurs de la marque MB&F), mais aussi aux membres de “The Tribe” (la tribu des propriétaires de montres MB&F) et non vendue au grand public.
L’heure est désormais au départ. Je quitte Carouge, et je reprends mon train direction Paris, des étoiles dans les yeux, en contemplant cette masse oscillante hypnotique qui tourne sans fin sur mon poignet. C’est aussi fascinant et addictif que génial, j’adore!
Paradoxalement, je venais de passer deux heures hors du temps, au sein de cette fourmilière fascinante qu’est MB&F, qui mixe au quotidien la tradition horlogère à la fertilité créative d’un visionnaire, Maximilian Büsser, qui a su et sait toujours s’entourer de talentueux “Friends” pour concrétiser ses projets. Merci Max de continuer à nous offrir cela.
Découvrez l’univers MB&F
Je tenais à ce propos à remercier chaleureusement Charris Yadigaroglou pour son accueil sans faille, Arnaud Légeret pour son temps consacré à cette incroyable visite ultra détaillée, mais également tous les collaborateurs de MB&F qui ont su nous partager leur métier en toute disponibilité avec passion et bonne humeur.
Olivier Gilo, pour Passion Horlogère.
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