«La technologie n’a de valeur que lorsqu’elle est mise au service des gens.» Tsuneya Nakamura

Tsuneya Nakamura – Source Sankei.com
C’est en toute discrétion que le 25 Décembre 2018, l’homme qui aura sûrement eu le plus grand impact sur Seiko et sur l’horlogerie nippone du XXème siècle nous quitta.
Tsuneya Nakamura s’est éteint à l’âge de 95 ans et une cérémonie en son honneur s’est tenue le 4 février dans la ville de Suwa où Nakamura San a passé la majorité de sa vie, au service de l’industrie et de l’économie locale mais aussi de l’éducation et des arts.
Nous vous proposons ici de rendre hommage à cette figure emblématique de l’horlogerie japonaise en retraçant le parcours de celui qui fut un des architectes du succès phénoménal de Seiko dans les années 60.
Né le 8 Mars 1912, Tsuneya Nakamura rejoint l’usine Daini Seikosha Kameido à Tokyo en 1944, dans un contexte de guerre mondiale particulièrement tendu. Il subira même le bombardement de son usine en 1945. Suite à cette épreuve, la direction de Seikosha décide de déplacer la majorité du personnel et du matériel à l’abris dans les montagnes de la préfecture de Nagano où ils ont déjà préparé une solution de repli. Ils ont en effet racheté un sous-traitant et fondent Suwa Seikosha aux abords de la ville de Suwa. Le jeune Tsuneya Nakamura, alors âgé de 33 ans, y est envoyé.
Suwa Seikosha – Source: «A Journey in Time – the Remarkable History of Seiko»
Alors que le Japon se remet de la guerre à grands coups de capitaux Américain, Seiko a du mal à se démarquer. L’outil de production n’est plus au goût du jour et les montres fabriquées s’inspirent très largement des productions occidentales.
Au milieu des années 50, Tsuneya Nakamura demande à sa direction l’autorisation de créer lui-même, intégralement, une nouvelle montre pensée pour rendre de sa superbe à Seiko et remettre la manufacture Nippone sur le devant de la scène.
C’est ainsi que naîtra en 1956 la Seiko Marvel, une montre résolument moderne, qui signera l’entrée de Seiko dans une nouvelle ère. Les difficultés de l’après-guerre sont maintenant oubliées, l’outil de production de Suwa Seikosha a été modernisé et le succès commercial de la Marvel ne se fait pas attendre.
Seiko Marvel de 1958 – Source: Ikigai Watches
Mais au-delà d’un impact industriel et économique majeur pour la marque, la Marvel ouvrira de nombreuses voies prometteuses pour Seiko à l’aube d’une décennie extraordinaire pour la marque.
En effet, la Marvel remportera de nombreux concours de chronométrie au Japon et s’imposera comme le plus grand succès de l’histoire de Seiko, laissant entrevoir à Tsuneya Nakamura la possibilité de s’imposer sur la scène mondiale.
De la Marvel naîtra en 1959 la Gyro Marvel, première montre automatique manufacturée au Japon. Produite sous l’égide de Nakamura San, cette montre était équipée du fameux système «Magic Lever», toujours utilisé dans la quasi totalité des montres Seiko automatiques.
Seiko Gyro-Marvel – Source : Anthony Kable plus9time.com
La Marvel donnera également naissance à la Crown en 1958, une montre inspirée de la Marvel mais qui se focalise encore d’avantage sur les performances chronométriques avec un mouvement amélioré.
Fière de son succès commercial et de concours Japonais de chronométrie remportés avec la Marvel, Seiko décide en 1960 de lancer une marque haut de gamme destinée à rivaliser avec les plus belles productions Suisses : Grand Seiko.
Naissance de Grand Seiko – Source : Ikigai Watches
C’est tout naturellement que le projet est confié à Tsuneya Nakamura, lui qui fut à l’origine de la légendaire Marvel. Il chapeautera ainsi le développement et le lancement de ce qui devint immédiatement et restera jusqu’à aujourd’hui le fleuron de la marque.
La première Grand Seiko (surnommée la First) sera la fusion de deux montres emblématiques de Suwa Seikosha. Pour l’esthétique, la First s’inspire en grande partie de la Lord Marvel, version luxueuse de la Marvel (cadran gravé à la main, index et aiguilles en or etc), pour la technique, elle s’inspire de la Crown dont le calibre sera encore amélioré pour donner la première montre «Chronomètre» de Seiko. Les deux meilleures créations de Tsuneya Nakamura combinées en un chef d’oeuvre horloger.
Seiko Marvel, Lord Marvel et Grand Seiko First – Source : Ikigai Watches
Le début des années 60 marque aussi le début d’un effort important en recherche et développement sur cette nouvelle technologie prometteuse qu’est le quartz. En parallèle, Seiko est choisi pour être le chronométreur officiel des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964.
C’est sous la houlette de Nakamura San que les ingénieurs mécaniciens et électroniciens travaillerons d’arrache pied à la création du Quartz Crystal Chronometer, la première horloge portable à quartz au monde. Ce petit bijou de technologie sera présenté au Concours de Chronométrie de Neuchâtel dans la catégorie «Chronomètres de Marine» en 1963, une première pour une maison Japonaise. Elle obtiendra la dixième place, un score honorable pour la première participation de Seiko dans ce concours renommé. Pour sa deuxième participation en 1964, Suwa Seikosha raflera les places 2 à 7 avec une version améliorée du Quartz Crystal Chronometer.
Seiko Crystal Qaurtz Chronometer – Source : Anthony Kable plus9time.com
La même année, cette horloge et ses déclinaisons seront très largement utilisées lors des JO de Tokyo et feront rentrer la chronométrie sportive dans une nouvelle ère, que ce soit avec l’utilisation du quartz ou avec ses nouveaux chronographes automatiques à la précision jamais égalée jusqu’à présent.
Lors des Jeux d’été de 1964, Seiko sort également sa première montre-bracelet chronographe avec le fameux mono-poussoir «Crown Chronograph» si apprécié des Seikophiles. Là aussi Tsuneya Nakamura aura participé à cette première pour Seiko puisque les mouvements de ces montres sont basés sur la Seiko Crown, descendante directe de la Marvel.
Seiko «Crown Chronograph» 5719-8990 – Source : Ikigai Watches
Lors des Jeux Olympiques de Tokyo, les équipes de Suwa Seikosha ont également l’idée de joindre à ses horloges un système électronique qui permet d’imprimer les résultats directement communiqués par le chronographe, une première dans l’histoire des JO. Cette petite invention rencontrera un succès tel que Suwa Seikosha se lance en 1968 dans la fabrication des toutes premières imprimantes numériques, les EP-101 (pour Electronic Printer). Le marque prendra en 1975 le nom d’Epson, de l’anglais «Electronic Printer’s Son.
Epson EP-101 – Source : Anthony Kable plus9time.com
Bien que ce «Quartz Crystal Chronometer» puisse sembler assez anecdotique dans l’histoire de Seiko, il est pourtant au croisement des trois plus grands succès de Seiko dans les années 60 : les concours de chronométrie Suisses, les Jeux Olympiques de 1964 et le développement du quartz. Et derrière cette prouesse, toujours le même homme…
L’idée de participer aux concours de chronométrie en Suisse était l’idée de Tsuneya Nakamura, lui qui n’avait de cesse de se comparer aux meilleurs dans le but de progresser. Ce mode de fonctionnement l’a guidé dès la création de la Marvel et l’a poussé à toujours s’améliorer, ce qui fut l’idée fondatrice de Grand Seiko et l’essence même de la participation aux concours de chronométrie Suisses.
Grand Seiko fut couronné de succès avec la production en 1969 des fameuses VFA ou Very Fine Adjusted, des montres mythiques dans l’histoire de Seiko, données avec une tolérance de +/- 2sec/jour (60 sec/mois en fait) garantie sur deux ans, une prouesse horlogère absolument remarquable. La pérennité et la popularité croissantes de la marque près de 60 ans après son lancement sont un autre marqueur du succès de ce projet initié par Tsuneya Nakamura.
Grand Seiko 6185-8021 VFA – Source : Ikigai Watches
Les concours de chronométrie furent aussi un réel succès pour Suwa Seikosha qui fit littéralement trembler la Suisse en 1968.
Le 5 Mai 1968, le Conseil de Neuchâtel annonce l’annulation du concours de chronométrie mais publie quand même les résultats des montres testées jusqu’à présent. Deux montres soumises par Suwa Seikosha remportent le deuxième meilleur score de l’histoire du concours. Suite à l’annulation du concours, d’autres mouvements de Suwa sont présentés au concours de chronométrie de Genève où Suwa occupe les places 4 à 10 (derrière trois prototypes à quartz) et monte sur la première marche du podium au classement des manufactures. Le meilleur score obtenu par Suwa cette année là à Genève écrase de très loin le record qu’Omega détenait à Neuchâtel.
Suite à ce véritable tsunami, les règles du jeu changent et seules les manufactures Européennes auront désormais le droit de participer aux concours de chronométrie.
Résultats au Concours de Chronométrie de Genève de 1968 d’un mouvement présenté par Suwa Seikosha et réglé par Kiyoko Nakayama. Source : Anthony Kable plus9time.com
Il est d’ailleurs amusant de noter que les dix premières montres mécaniques présentées par Suwa à Neuchâtel en 1964 étaient toutes réglées par Nakamura San lui-même, ne se satisfaisant pas seulement de lancer le projet, mais y prenant aussi intégralement part en tant que régleur ainsi que dans la recherche et le développement des mouvements Hi-Beat utilisés pour les concours, alors qu’il travaille également en parallèle sur le quartz et les gardes-temps utilisés pour les JO de la même année. L’ingénieur de 41 ans consacrait véritablement toute son énergie au développement de Seiko.
Tsuneya Nakamura en 1969 – Source: Anthony Kable plus9time.com
Bien qu’ayant fait entrer Seiko dans une toute nouvelle ère avec la Marvel, bien qu’ayant été à l’origine même de la naissance de Grand Seiko et de la participation de Seiko aux concours de chronométrie en Suisse, bien qu’ayant supervisé le développement des premiers mouvements Hi-Beat 36000 et 72000bph créés pour les concours de chronométrie, bien qu’ayant joué un rôle clé dans le développement de la chronométrie sportive pour les JO de 1964, Tsuneya Nakamura est surtout reconnu aujourd’hui pour ce qui restera sans doute sa plus grande réalisation : la création de la première montre à quartz au monde.
Dès la fin des années 50, les équipes de Suwa Seikosha travaillent sur le développement du quartz et parviennent en 1963 à créer le Quartz Crystal Chronometer. L’enjeu principal est la miniaturisation. Mais avec la miniaturisation vient un autre problème : la réserve de marche. En effet, les premiers prototypes de montres bracelet à quartz de Seiko ont une réserve de marche très courte et les piles se vident à la vitesse de l’éclair.
Au courant des avancées d’horlogers Suisses sur le projet Beta21, Shoji Hattori, PDG de Seiko, pose un ultimatum à Tsuneya Nakamura à la fin de l’année 1968 : il doit commercialiser la première montre à quartz au monde avant le 1er Janvier 1970. Et comme le challenge n’est pas assez fou, il retire du projet l’intégralité des équipes qui travaillaient d’arrache pied sur le quartz depuis plusieurs années et laisse Tsuneya Nakamura recréer des équipes qui auront un an pour sortir une montre à quartz commercialisable.
C’est à ce moment-là que Nakamura San fera un choix d’une importance cruciale, un choix qui participera grandement à régler le problème de réserve de marche. Le choix du moteur pas à pas qui fera avancer la trotteuse d’un saut par seconde. Ce choix peut sembler aujourd’hui anodin mais il déterminera à lui seul ce que sera la montre à quartz, puisque par la suite, le modèle développé par Tsuneya Nakamura sur la base d’un moteur pas à pas servira de base à l’ensemble de l’industrie. Et des milliards de montres suivant le même principe seront produites au cours des décennies suivantes.
Seiko Astron 35SQ – Source : seikowatches.com
Le 25 Décembre 1969 sort la Seiko Astron, première montre à quartz commercialisée au monde. L’incroyable Tsuneya Nakamura a su relever le défi lancé par Hattori.
Par la suite, Tsuneya Nakamura continuera à faire toujours plus progresser Suwa Seikosha (qui prendra le nom de Seiko Epson) à la fois sur les voies commerciales et industrielles mais aussi vers l’écologie. Que ce soit à travers le développement de technologies horlogères plus propres comme les mouvements Thermic ou Kinetic, ou à travers l’abandon de certains produits néfastes pour l’environnement comme le fréon (initiative qui lui valu un prix de la part de l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement). Ceci en soutenant des programmes écologiques locaux à Suwa ainsi que dans les succursales de Seiko Epson, programmes de réduction des déchets ou de nettoyage des plages.
Nommé président de Seiko Epson en 1987, Tsuneya Nakamura prendra sa retraite en 1994 pour se consacrer au mécénat, faisant plusieurs dons extrêmement généreux à de nombreuses fondations promouvant l’éducation, les sciences ou la musique.
Tsuneya Nakamura – Source : webchronos.net
C’est le 25 Décembre 2018, 49 ans jour pour jour après le plus grand exploit de sa carrière, que ce grand homme s’est éteint.
Tsuneya Nakamura était un ingénieur hors pair et un homme remarquable, il aura façonné de la plus belle façon possible l’histoire de Seik. Et l’influence qu’il a eue sur la marque lui confère une place privilégiée dans le Panthéon des grands noms de Seiko.
Nous adressons nos pensés les plus respectueuses à ses proches et en particulier à sa veuve, Madame Reiko Nakamura.
謹んで哀悼の意を表するとともに心からご冥福をお祈りいたします。
Arnaud A. pour Passion Horlogère
Sources :
The Seiko Book
A Journey in Time – The Remarkable History of Seiko
https://www.ikigai-watches.com/the-birth-of-grand-seiko/4947
https://www.plus9time.com/seiko-the-neuchtel-chronometer-competition/
https://museum.seiko.co.jp/en/
https://global.epson.com/SR/environment/history/index_3.html
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