« Et la beauté? Elle existe, sans que nullement sa nécessité, au premier abord, paraisse évidente. Elle est là, de façon omniprésente, insistante, pénétrante, tout en donnant l’impression d’être superflue, c’est là son mystère, c’est là, à nos yeux le plus grand mystère. » François Cheng, Cinq méditations sur la beauté.
Il faut avoir aperçu la beauté de ces pièces minuscules, devenues invisibles une fois le mouvement assemblé. Il faut avoir vu le souci avec lesquelles elles ont été travaillées, polies, magnifiées, pour comprendre la philosophie qui se cache derrière un Garde-temps Greubel Forsey. La création d’un Garde-temps Greubel Forsey – et il est bien question de « création » et non de « fabrication » bien qu’il s’agisse d’un atelier horloger – est une sorte de processus alchimique où chaque passage signifie évolution et transformation. L’idée première naît sur le papier: l’esquisse d’origine est toujours réalisée à la main. Tout tourne autour de la main, chez Greubel Forsey, à tous les stades de création. En passant d’une main à une autre, d’une machine à commande manuelle à un outil de polissage, chaque composant « s’élève » car la main le sublime. Il y a quelque chose de l’ordre du néoplatonisme médicéen au cœur de l’Atelier. Une réflexion sur le beau, mais qui passerait par le geste, lui-même induit par la pensée. C’est dans ce processus que réside l’essence du fait-main chez Greubel Forsey.
Un fait-main qui n’exclue pas la mécanique: la machine est le prolongement de la main de l’homme, chez Greubel Forsey. Dans l’un des ateliers, on découvre un ensemble de vénérables machines manuelles qui ont, pour certaines, plus de cent ans d’âge. La pointeuse, par exemple. Une machine de haut vol. Il existe des championnes parmi les machines. On le découvre chez Greubel Forsey. Les chefs d’ateliers y prêtaient une attention particulière: sur mille machines produites, une d’entre elles les dépasse toutes, et c’est le cas justement de cette pointeuse de la maison SIP (Société d’Instruments de Physique). Heureusement qu’il existe des passionnés qui dédient leur temps à les restaurer… Ce sont des machines-outils typiquement traditionnelles, qui sont utilisées pour réaliser des Garde-temps extraordinaires: une dizaine de Garde-temps au maximum par an.
Ce qui importe, ce n’est pas l’âge de ces équipements, ni leurs facultés hors du commun, mais le geste qui les accompagne. Tout tient dans le geste: si aucun artisan ne sait utiliser ces machines complexes, elles restent lettre morte et leurs qualités ne peuvent s’exprimer. Il faut entre dix et quinze ans d’apprentissage pour savoir vraiment les manier. Et il faut entre cinquante et cent fois plus de temps pour réaliser une pièce avec ces outils que sur une machine CNC. Mais chez Greubel Forsey, le temps est un allié, non un ennemi: ce qui compte avant tout, bien avant le temps qui s’écoule, c’est la sauvegarde des savoir-faire. Face à la robotisation, la maison veut faire perdurer ces traditions horlogères du XIXe siècle à tout prix. Une manière de préserver l’âme de l’horlogerie.
« La technologie est fantastique, souligne Stephen Forsey. Cela nous donne de nombreuses possibilités. Mais ce n’est qu’un outil, au même titre qu’un crayon, qu’un burin ou qu’un tournevis. Elle peut devenir une prison et on doit alors savoir s’en évader pour revenir au savoir de la main. L’horlogerie traditionnelle a perduré jusqu’en 1870. Puis la mécanisation est intervenue afin de démocratiser la montre. Mais cela a eu tendance à tuer le fait-main. La montre électronique a libéré la montre mécanique de son côté utilitaire et a permis à l’horlogerie mécanique de renaître, en tant qu’expression créative. Nous avons pu mettre en œuvre une partie de ces outils modernes, mais nous avons la chance aujourd’hui de trouver des artisans qui ont envie de créer à la main. Et c’est nouveau. Nous avons la possibilité de créer un Garde-temps fait-main aujourd’hui avec une précision qui était hors d’atteinte il y a 150 ans. »
Il faut un désir, un élan pour pousser ainsi l’excellence dans tous les domaines. Robert Greubel et Stephen Forsey travaillent pour ce qui ne se voit pas, pour la beauté du geste avant tout. Sinon pourquoi pousser à son paroxysme le souci de la bienfacture? Personne, à part leur équipe et eux-mêmes, ne sait l’énigmatique splendeur des pièces invisibles cachées au cœur de leurs mouvements. Pas même le possesseur du Garde-temps. Peut-être devrait-il ou devrait-elle, d’ailleurs, visiter l’Atelier, afin de se faire une idée du petit miracle arrimé à son poignet. Chaque dessinateur, chaque artisan d’art, chaque horloger, chaque polisseur, travaille dans une même ferveur qui confine au sacré: ils sont tous en quête de la beauté ultime. Est-ce une folie? Une sagesse?
Un mot essentiel chez Greubel Forsey: le dialogue. Dialogue entre les créateurs et les concepteurs du mouvement, entre les décorateurs et tous les ateliers. Chaque élément doit être étudié dans tous ses détails pour atteindre la perfection absolue, ou quasi absolue, si l’on considère humblement que cette dernière n’est pas de ce monde. Cette quête est continue et sans fin. C’est aussi un chemin d’humilité. Cet état d’esprit, que l’on retrouve dans tous les ateliers, un mélange de passion, de fierté, de quête de perfection est peut-être ce qui fait l’unicité de l’Atelier.
Les artisans de Greubel Forsey travaillent avec le respect de l’avant et de l’après. C’est unique dans un atelier horloger d’avoir cette conscience que chacun de ses gestes peut avoir une influence sur le passé et le futur de la pièce. Au niveau de l’assemblage, chaque horloger doit manipuler les pièces sans les abimer, sans les rayer, visser une vis sans la blesser, afin de ne pas réduire le travail de celui ou celle qui l’a précédé à néant, et d’amener la pièce jusqu’à son acmé. Pour assembler un Garde-temps, il faudra 10 à 20 fois plus de temps aux horlogers de chez Greubel Forsey qu’aux autres. Mais peu importe le temps nécessaire pour y parvenir, peu importe le prix que cela coûtera, chez Greubel Forsey on emprunte la voie vertueuse qui mène à l’exceptionnel et chaque étape est une prouesse.
Prenons l’exemple de la décoration du mécanisme: chez Greubel Forsey, presque toutes les pièces du mouvement sont fabriquées à l’Atelier. Avant d’arriver chez le décorateur, chacune subit de multiples manipulations, pour arriver à l’atelier décoration sans défaut. Du plus petit au plus grand composant, chacun est doté d’une charge émotionnelle. Certaines pièces sont décorées à l’atelier de l’assemblage, comme une dernière retouche. Cela demande une précision absolue à chacun des stades. Les pièces, jusqu’à la moindre vis, sont reprises à la main, qu’elles soient visibles ou pas. Un bon décorateur va « gauchir » la pièce pour la rendre plus belle. L’angle sera moins régulier, comme c’est le cas lorsqu’il est réalisé par une machine, mais il sera légèrement rétréci à une extrémité, afin de donner l’illusion de la perfection. Tout cela est le résultat d’une interaction entre le cerveau, l’œil et la main. Comme dans l’ensemble de l’univers, c’est l’asymétrie qui crée la beauté. La quête de perfection, chez Greubel Forsey, emprunte donc aussi le chemin de l’imperfection.
L’un des particularismes de Greubel Forsey, c’est le poli noir. Historiquement, les horlogers utilisaient le poli noir pour éviter la corrosion: plus une surface est polie, moins elle est attaquée par la rouille. Aujourd’hui, c’est un marqueur de très grande qualité. Chez Greubel Forsey, le polissage des angles est fini avec un brin de gentiane, dont le cœur est très tendre. Le poli noir, c’est un jeu avec la lumière. La surface de la pièce est polie jusqu’à ce que le reflet qui la traverse devienne noir. Il faut parfois compter quatre heures de polissage pour obtenir ce résultat. L’homme ou la femme de l’art doit savoir s’arrêter à temps, car sinon il ou elle raye la pièce. C’est une question de savoir-faire. Tous les sens sont en éveil: un bruit infime suffit pour dire si l’on est allé trop loin ou si l’on a atteint son but. « Il s’agit d’excellence guidée par l’intelligence de la main, relève Robert Greubel. Ce qui nous motive, c’est qu’il nous est impossible de réaliser un Garde-temps différemment, au vu de ce niveau d’excellence que nous ciblons. Nous cherchons à donner à nos créations, un visage qui nous représente. »
Lorsque Robert Greubel évoque «un visage qui nous représente », il fait référence aux origines même de la formation des deux horlogers. C’est là qu’il faut chercher la source de cette quête. « Lorsque Stephen et moi étions à l’école, nous faisions des pièces à la main, des platines, des ponts, des rouages. Et quand on est habitué à créer des pièces à la main, c’est un peu comme si l’on maniait un pinceau avec notre propre palette de couleurs: cela fait partie inhérente de chacun d’entre nous. Le fait-main est à l’origine même de notre histoire. Quand nous avons créé notre Atelier, au début, nous n’avions pas d’équipe, nous n’étions que deux, et nous avons été obligés de tout faire nous-même. Quand d’autres artisans nous ont rejoints, nous pouvions leur montrer ce que nous voulions réaliser, pièces à l’appui. Le premier Garde-temps présenté à Bâle en 2004, le Double Tourbillon 30°, n’était pas un prototype: il était totalement fini, prêt à être vendu, avec son écrin. Ce qu’est devenu l’Atelier Greubel Forsey et ce qu’il deviendra, est le miroir de ce que nous sommes Stephen et moi. Et l’évolution logique serait de pousser le fait-main encore plus loin, à son extrême. Mais nous en reparlerons …»
Choisir un Garde-temps Greubel Forsey, c’est encourager le souci de perfection à tous les stades de développement et parier sur le génie humain. C’est savoir que le Garde-temps que l’on porte au poignet est unique, parce que l’on ne peut pas reproduire le même geste deux fois. C’est aussi accepter que certaines vérités resteront cachées.
Un Garde-temps Greubel Forsey relève de l’Être, non de l’Avoir.
« Le Beau est le symbole du Bien » Emmanuel Kant – « Critique de la faculté de juger »
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